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PRATIQUER > LA MONNAIE PAR LES THÈMES
Avant propos : cet article est une refonte de l’article que j’ai écrit en 2007 pour le Forum FW numismatique. Je supprime dans cette nouvelle version toutes les notions sur les raretés des types, bustes ou variantes qui étaient en partie erronées et que je ne pouvais malheureusement pas corriger car je n’avais plus d’accès à ce site.
Les raretés réelles de toutes les variantes de cette émission sont disponibles dans le volume VI (émission du bestiaire) de ma série de livres consacrés aux monnaies de Gallien émises à Rome.
Je n’aborderai pas non plus les bustes de Gallien en détail ici car ceux ci feront l’objet d’un prochain article (et ils sont tous décrits, illustrés et croqués dans mes livres cités plus haut).
Enfin, Maxime C., la tête dans les étoiles, nous proposera une toute nouvelle théorie quant à l’explication de cette émission !
Pourquoi cette émission ?
Gallien règne comme co-empereur avec Valérien de 253 à 260, puis après la capture de son père par le Roi sassanide Shapur, il règne seul de 260 à 268, pendant une des périodes les plus difficiles de l’empire (si ce n’est la pire).
Non seulement l’empire avait à faire face aux invasions barbares, mais il a dû également faire face à au moins huit rébellions de ses propres gouverneurs et généraux.
Pendant cette période, le taux d’inflation monte considérablement. L’antoninien est, petit à petit, fortement réduit en poids et en titre.
La sixième et dernière émission de Gallien qu’on appelle communément « émission du bestiaire » est frappée dès 266 et elle associe les dieux romains – Apollon, Diane, Liber Pater, Jupiter, Hercule, Neptune, Mercure, et Sol à un animal.
Dans certains cas le rapprochement est évident, comme pour Diane. Pour d’autres nous devons nous tourner vers des histoires mythiques spécifiques telles que Jupiter et la chèvre d’Amalthée.
Nous tenterons donc pour chaque dieu ou déesse de trouver les raisons de l’invocation, en analysant la personnification des monnaies, c’est-à-dire l’animal représenté au revers.
Diane
Diane (Artémis en grec) est la déesse de la chasse, de la nature sauvage, de la chasteté et de la lune. Son lien avec la lune est étroitement lié à son caractère de divinité céleste et à son rôle de protectrice des animaux et des zones sauvages.
Elle est massivement représentée dans le monnayage de Gallien.
Cette déesse est grave, sévère, cruelle et même vindicative.
Elle sévit sans pitié contre tous ceux qui ont provoqué son ressentiment. Elle n’hésite pas à détruire leurs moissons, à ravager leurs troupeaux, semer l’épidémie autour d’eux, à humilier, faire périr même leurs enfants.
À la prière de Latone, sa mère, elle se joint à Apollon, pour percer de ses flèches tous les enfants de la malheureuse Niobé, qui s’est vantée de sa plus nombreuse descendance.
Elle traite ses nymphes avec la même rigueur, si elles oublient leur devoir. Callisto en fit ainsi l’amère expérience.
Diana est souvent représentée dans les statues, les peintures et les mosaïques en tant que chasseresse accompagnée d’un cerf commun comme sur la monnaie milanaise illustrée plus haut ou encore sur la statue de la Diane de Versailles.
Mais elle peut être représentée avec toutes sortes de cervidés, comme le chevreuil. En outre, elle peut être accompagnée de biches merveilleuses dotées de bois, apanage des seuls mâles dans la nature.
Aurait-on dans l’émission du Bestiaire deux catégories d’animaux ? Les cervidés d’Occident et les gazelles d’Orient ?
Notons aussi que Diane est aussi parfois une divinité guerrière comme sur cet antoninien d’Aemilien au revers Dianae Victri.
Les monnaies de la série du bestiaire représentent Diane grâce à des antilopes, gazelle, biche et cerf. La légende de revers est DIANAE CONS AVG [À Diane, conservatrice de l’auguste].
Diane et Apollon sont souvent honorés comme protecteurs de la santé. Diane se rapporte donc peut-être à certaines maladies comme la peste et il est également possible que les demandes en faveur de la santé puissent concerner une blessure que Gallien aurait reçue pendant l’une des batailles contre Postume.
Nous voyons donc que Diane a pu être invoquée pour plusieurs raisons :
- elle sévit sans pitié contre tous ceux qui ont provoqué son ressentiment (référence aux usurpateurs),
- protectrice de la santé de l’empereur (blessure de Gallien),
- protectrice de la santé du peuple (peste).
Apollon
Nous venons de voir que Diane était intimement liée à Apollon.
Quand Apollon (le Soleil) disparaît à l’horizon, Diane (la Lune) resplendit dans les Cieux et répand discrètement sa lumière dans les profondeurs mystérieuses de la Nuit.
Ces deux divinités ont des fonctions non identiques, mais semblables : alternativement, elles éclairent le monde.
Apollon est le dieu archer grec de la clarté solaire, de la raison, des arts et plus précisément de la musique et de la poésie. Il est également dieu des purifications et de la guérison, mais peut apporter la peste avec son arc. Enfin, c’est un des principaux dieux capables de divination, consulté, entre autres, à Delphes, où il rendait ses oracles par la Pythie.
Il a aussi été honoré par les Romains, qui l’ont adopté très rapidement sans changer son nom. C’est même peut-être le dieu qui a le plus été adoré dans toute la mythologie gréco-romaine et l’un des plus complexes à cerner. Le fait qu’il soit parfois suivi de muses explique son second nom, le musagète (celui qui conduit les muses).
Notons qu’Apollon ne fait pas partie des dieux les plus représentés sur le monnayage romain mais cela s’explique par le fait que c’est un dieu particulièrement grec. Il a d’ailleurs le même nom en latin et en grec.
Comme pour Diane, Apollon est souvent honoré comme protecteur de la santé. Diane et Apollon sont donc invoqués, pour peut être les même raisons, mais si l’un protège Gallien la nuit (la lune éclaire la nuit), l’autre le protège de jour.
Dans l’émission du bestiaire Apollon est représenté sous la forme de centaure et de griffon. Les légendes de revers sont APOLLINI CONS AVG [À Apollon le protecteur de l’auguste].
Les centaures
Les centaures sur les monnaies à la légende APOLLONI CONS AVG sont certainement en relation avec Chiron.
Dans la mythologie grecque, Chiron est un centaure. Il est le fils de Cronos et de l’Océanide Philyra. Pour tromper la jalousie de sa femme Rhéa, Cronos transforme Philyra en jument et lui-même en étalon. De là vient que Chiron, mi-homme, mi cheval, ait l’apparence d’un centaure.
Mais il se distinguait des autres centaures tant par son origine (ceux-ci étaient nés d’Ixion et d’une nuée) que par son caractère : à l’opposé des centaures, êtres frustes et cruels, Chiron était réputé pour sa sagesse et sa science. Artémis et Apollon lui avaient enseigné la chasse, la médecine, la musique et la divination. Versé dans la connaissance des plantes, il en avait retiré l’art de guérir.
Dans la mythologie c’est Chiron qui conseille Hercule (dans son quatrième travail) sur la façon de capturer le sanglier d’Erymanthe, sanglier que l’on retrouvera au revers du type 16 « Hercvli cons avg . On commence donc à remarquer une récurrence certaine du thème herculéen !
Centaure à gauche
Nous trouvons ici le centaure marchant à gauche, tenant un globe et un gouvernail.
Le globe et le gouvernail de direction sont normalement les attributs de la Fortune.
Mais pourquoi est-ce qu’un centaure tiendrait ces attributs dans le cas présent ?
Le globe indiquerait le monde, ou l’ampleur de l’autorité de l’empire romain et le gouvernail la direction qu’il faut prendre.
Le centaure doit probablement être vu ici comme la sagesse et la paix guidant le monde romain.
Centaure à droite
Nous trouvons aussi le centaure à droite avec un arc. Celui-ci peut simplement être représenté marchant à droite et tirant à l’arc (type 2) ou au galop, bondissant à droite et tirant à l’arc (type 3).
Celui ci se réfère sûrement à la « bataille des Lapithes et des centaures».
À la différence des autres centaures, Chiron était le fils de Cronos, roi des titans.
Chiron avait été l’hôte d’Héraclès qui l’aimait et l’estimait.
Il se rallia à ce héros dans sa lutte contre les centaures. C’est au cours de ce combat qu’Héraclès le blessa par mégarde d’une flèche qui l’atteignit au pied. Il tenta d’appliquer un onguent sur la plaie, mais les blessures causées par ces flèches n’étaient pas guérissables. Trouvant ces douleurs intolérables, Chiron, bien qu’immortel, demanda la mort aux dieux. Ceux-ci la lui accordèrent après qu’il eut légué son immortalité à Prométhée. Il peut également s’agir de Pholos, centaure qui se blessa par maladresse sur une flèche d’Hercule et en mourut.
On peut donc rapprocher Chiron et Apollon par le tir à l’arc mais la représentation n’est pas évidente et reste une énigme.
Le griffon
Le griffon est une créature fantastique présente dans plusieurs cultures anciennes. Il est imaginé et représenté avec une forme tenant de l’aigle à l’avant (tête, ailes et serres) et du lion à l’arrière.
Avec quelquefois des variantes – marchant à gauche (type 4), à droite (type 5) ou assis (type 6) – le griffon gardera de tout temps la particularité reconnaissable d’être hiéracocéphale (à tête d’épervier, de faucon).
Le griffon apparaît en Élam à la fin du IVe millénaire av. J.-C. et en Égypte vers 3000 av. J.-C., avec un corps de lion, une tête et des ailes d’aigle. On le retrouve assez souvent sur les monnaies grecques et romaines.
Tout au long de son histoire antique, cette forme première ne cesse d’être nuancée par divers apports iconographiques, notamment dans les cultures mésopotamiennes, grecque puis romaine.
Le griffon se voit souvent associé aux divinités et héros locaux (Gilgamesh, Ningishzida, Seth, rois égyptiens, Apollon, Dionysos, Éros ou encore Némésis) :
- parfois en train de tirer des chars (l’attelage du dieu des tempêtes mésopotamien, d’Éros, d’Artémis, de Dionysos, ou de Malakbel de Palmyre),
- portant des personnages sur son dos (la divinité féminine mésopotamienne exhibant des serpents dans ses mains, Dionysos, Apollon et parfois une Néréide, ainsi que les défunts),
- participer à des scènes de chasse, combattre héros, guerriers et ennemis (dont en particulier les Arimaspes et les Amazones),
- s’attaquer à des animaux sauvages, communs ou fantastiques (Sphinx, Scylla, centaures et tritons), se camper face à un congénère de part et d’autre d’un élément (l’arbre de vie et la palmette orientaux remplacés dans l’art romain par un candélabre, un vase, une lyre ou un trépied d’Apollon),
- se lier au culte funéraire (comme animal psychopompe ou comme gardien du monde des morts).
On voit donc que le griffon est souvent associé, dans l’antiquité, à certaines divinités et souvent à Apollon. On notera aussi que dans la mythologie hyperboréenne, le griffon était le gardien des trésors et des sites sacrés. Apollon passait ses hivers en Hyperborée et le Griffon est souvent représenté comme gardien dans les temples d’Apollon.
SOL
Les monnaies avec Sol au revers dénotent un développement du culte du soleil.
Ce culte qui n’est certes pas nouveau ne cessera pas de s’ accroître avec les empereurs postérieurs (Aurélien, Probus, Maximin II, Julien II …).
Plus proche de Gallien, le culte du soleil était aussi omniprésent juste avant, chez Elagabal par exemple.
Dans l’émission du bestiaire SOL est représenté sous la forme de Pégase et du taureau. Les légendes de revers sont SOLI CONS AVG [À Sol le protecteur de l’auguste].
Pégase
Le type monétaire qui nous concerne est censé représenter Pégase (fils de Méduse et de Poséidon) mais quel rapport peut–on trouver avec le soleil ?
Si certains auteurs propose d’y voir l’un des chevaux qui tirait le char du dieu-soleil à travers le ciel (Carradice 1983, p188), Pégase (une créature unique, le seul avec des ailes) est bien distinct des autres chevaux divins (que ce soit pour Hélios ou pour Apollon). D’ailleurs, dans la mythologie, les dieux du ciel n’ont pas d’ailes. Ni le char solaire, ni le char lunaire, ne sont représentés tirés par des chevaux ailés. Iris vole sans aile, comme Zeus d’ailleurs. Pas besoin de ça quand on est divin.
Pourrait-on voir dans l’origine mythique de Pégase une allusion aux usurpateurs. En effet, Après sa naissance, Pégase quitte aussitôt la terre pour rejoindre les dieux.
Il porte le tonnerre et les éclairs de Zeus. Il est capturé par le héros Bellérophon (ou bien lui est donné par Athéna), qui parvient à le maîtriser et s’en sert ensuite comme monture dans son combat contre la Chimère.
Mais quand Bellérophon, saisi d’orgueil, voulut monter sur l’Olympe avec lui, Zeus envoya un taon géant piquer le cheval. Sous le coup de la douleur, Pégase désarçonna son cavalier qui se tua dans sa chute, et le cheval monta seul dans le ciel, changé en constellation.
Frederic Weber, dans notre article d’origine de 2007, proposait de voir ici le refus de Gallien de reconnaître l’empereur gaulois Postume. Même si Bellérophon a combattu la chimère aux cotés de Pégase (Postume a combattu les invasions barbares) il ne peut pas monter avec lui sur l’Olympe, pas plus que Postume ne peux gouverner l’empire avec Gallien.
Mais personnellement je préfère y voir une version plus simple et plus plausible : Gallien associe Pégase à son émission car c’est grâce à lui que Bellérophon à combattu autant de monstres. Pégase devient alors sa monture.
Le taureau
Encore une fois le rapport avec la protection du soleil n’est pas évident à trouver. Il a été émis l’hypothèse que le taureau aurait une relation avec ce qui est rapporté dans l’Odyssée.
L’Odyssée raconte que Hélios (personnification du soleil) possède des troupeaux de bœufs et de moutons dans l’île de Trinacrie (la Sicile).
Ulysse y accoste lors de son retour vers Ithaque. Dûment chapitré à ce sujet au chant XI par le devin Tirésias, il interdit à ses hommes de toucher aux troupeaux sacrés.
Alors qu’il dort, pourtant, ses hommes affamés abattent des vaches. Hélios réclame vengeance auprès de Zeus qui foudroie le navire d’Ulysse, l’épargnant seul au passage.
Nous proposions de voir, en 2007, peut- être, à peu près la même mise en garde qu’exprime Pégase aux usurpateurs, c’est à dire de ne pas toucher aux troupeaux sacrés de Gallien.
Mais a t-on ici un exemple de bœufs du troupeau d’Helios dans l’Odyssée ? Il semble s’agir clairement d’un taureau que l’on pourrait rapprocher du taureau solaire de Julien. Ou du taureau égyptien Apis ? Peut être faudrait-il creuser du côté des cultes à mystères du IIIè siècle, comme Mithra ou Cybèle mais nous y reviendrons plus loin.
Jupiter
Jupiter est le dieu romain du Ciel et de la Foudre. Il est aussi le père des dieux.
Jupiter (ou Zeus en grec), disent les poètes, est le père, le roi des dieux et des hommes; il règne sur l’Olympe, et, d’un signe de tête, ébranle l’Univers.
Il était le fils de Rhéa et de Saturne qui dévorait ses enfants à mesure qu’ils venaient au monde. Déjà Vesta, sa fille aînée, Cérès, Pluton, Neptune avaient été dévorés, lorsque Rhéa, voulant sauver son enfant, se réfugia en Crète, dans l’antre de Dicté, où elle donna le jour, en même temps, à Jupiter et à Junon. Celle-ci fut dévorée par Saturne.
Quant au jeune Jupiter, Rhéa le fit nourrir par Adrastée et Ida, deux nymphes de Crète, qu’on appelait les Mélisses, et recommanda son enfance aux Curètes, anciens habitants du pays. Cependant, pour tromper son mari, Rhéa lui fit avaler une pierre emmaillotée. Les Mélisses nourrirent Jupiter avec le lait de la chèvre Amalthée et le miel du mont Ida de Crète.
C’est la chèvre Amalthée, sa nourrice, qui représentera donc Jupiter sur l’émission du bestiaire.. Les légendes de revers sont IOVI CONS AVG [À Jupiter le protecteur de l’auguste].
Elle est représentée à gauche (type 17) ou à droite (type 18) et ce type est frappé dans l’officine 6 (sigma) la plupart du temps.
Normalement Jupiter a pour symbole l’aigle qui n’est pas l’animal choisi pour le représenter sur l’émission (sûrement pour éviter de confondre cette émission avec celle des « consecratio » très populaire et émise pour de nombreux empereurs).
Mais on peut voir avec cette chèvre une espèce de sacrifice numismatique car les victimes les plus ordinaires qu’on lui immolait étaient la chèvre, la brebis et le taureau blanc dont on avait eu soin de dorer les cornes.
Liber
Liber représente Dionysos (Bacchus).
Dans la mythologie grecque, Dionysos est le dieu des jonctions des opposés et des ambiguïtés (mort-vie, homme-femme, vigne, vin et ses excès-lierre soporifique, dieu souterrain-dieu solaire, dieu étranger, barbare-dieu grec quasi-maître de l’Olympe).
Il est le fils de Zeus et de la mortelle Sémélé. Les Romains l’ont assimilé à Bacchus. Selon les listes, il fait partie ou non des douze olympiens, bien qu’il ne vive pas sur le mont Olympe (c’est essentiellement un dieu errant).
On voit donc que Gallien invoque Liber car c’est le dieu des jonctions des opposés et des ambiguïtés (Gallien vs usurpateurs) et nous n’oublierons pas que LIBER est le dieu qui est parti à la conquête de l’Orient (rapport possible avec les Sassanides)
C’est la panthère qui va représenter LIBER dans cette émission. Les légendes de revers sont LIBERO P CONS AVG [À Liber, le père protecteur de l’empereur]. Elle sera représentée marchant à gauche (type19) et rarement à droite (type 20).
La panthère
Selon les récits mythologiques, Dionysos a vécu une jeunesse agitée, marquée par des péripéties. L’Iliade relate comment il a été initialement poursuivi par Lycurgue, un adversaire redoutable. Plus tard, il a été capturé par des pirates tyrrhéniens, une situation des plus précaires.
Cependant, ce qui distingue Dionysos dans ces légendes, c’est sa capacité à accomplir des prodiges impressionnants pour échapper à ses ravisseurs. L’un de ces prodiges les plus célèbres est sa transformation en panthère, une créature mythique synonyme de ruse et de puissance.
En associant Gallien à la panthère, les monnaies peuvent symboliser sa résilience, sa ruse et sa force dans la protection de l’Empire romain contre les adversaires, de la même manière que Dionysos a utilisé sa transformation en panthère pour triompher de ses propres obstacles.
Cette symbolique renforce l’image de Gallien en tant qu’empereur déterminé, capable de surmonter les épreuves et de défendre l’Empire romain face aux multiples dangers qui le menaçaient à l’époque.
La panthère sur les pièces de monnaies de Gallien devient ainsi un puissant symbole de sa capacité à transformer l’adversité en triomphe.
Neptune
Neptune est dans la mythologie romaine, le dieu des Mers et des Océans, ainsi que du règne aquatique, il est l’équivalent de Poséidon chez les Grecs.
Frère de Jupiter et Pluton, il participa au partage du monde avec eux. Le monde souterrain revint à Pluton, les cieux à Jupiter, les eaux à Neptune, et la terre fut commune à tous les dieux. En tant que dieu de la mer, c’est lui qui ébranle la terre lors des séismes. Les chevaux lui sont consacrés, dans leur version terrestre et leur version aquatique (les hippocampes). On le reconnaît généralement à son trident (arme de pêche à l’origine).
Pourquoi appeler Neptune en aide ?
D’une certaine façon Neptune protège la flotte romaine.
De plus la mythologie nous dit qu’il gouverne son empire avec un calme imperturbable. Du fond de la mer où se trouve sa paisible demeure, il a le sentiment de tout ce qui se passe à la surface des ondes. Que les vents impétueux répandent inconsidérément les vagues sur les rivages, qu’ils causent d’injustes naufrages, Neptune apparaît et, avec une noble sérénité, fait rentrer les eaux dans leur lit, ouvre des canaux à travers les bas-fonds, soulève avec son trident les navires pris dans les rochers ou enfoncés dans les sables, rétablit en un mot tout le désordre des tempêtes.
Gallien appelle Neptune pour faire rentrer les eaux dans leur lit et avec son trident, remettre les bateaux à flot. Pour qu’il rétablisse l’ordre après la tempête.
Dans l’émission du bestiaire NEPTUNE est représenté sous la forme d’hippocampe et du capricorne. Les légendes de revers sont NEPTVNO CONS AVG [À Neptune le protecteur de l’auguste].
L’hippocampe
Dans la mythologie son attribut est le cheval de mer. Dans de nombreuses représentations artistiques et descriptions mythologiques, Neptune est représenté chevauchant un char tiré par des hippocampes.
Donc pas de problème pour l’hippocampe représenté dans l’émission du bestiaire.
Le Capricorne
En ce qui concerne le Capricorne, son utilisation peut sembler plus ambiguë. Sauf dans un cadre cosmique et astrologique : Gallien est sous de bonnes étoiles ; Mais nous verrons cela un peu plus loin.
Le Capricorne est une créature hybride avec le corps d’un poisson et la tête d’une chèvre.
Dans la mythologie romaine, il est souvent associé à la mer et à la puissance de Neptune.
La majorité des chercheurs pense que l’inclusion dans l’émission du bestiaire est peut être due à des erreurs de monnayage ou à des symboles régionaux spécifiques mais la solution est sans doute ailleurs.
En effet, on retrouve le Capricorne sur de nombreuse monnaies d’Auguste (il s’agit de son signe fétiche). Rappelons ici que lors de la série émise à Rome pour les décennales, des multiples d’or au revers dédié à Auguste, le fondateur de l’Empire, sont frappés.
Gallien EST le nouvel Auguste.
Junon
Junon, pour l’impératrice Salonine
Dans la mythologie romaine, Junon est la reine des dieux et la reine du ciel.
Fille de Rhéa et de Saturne, elle est à la fois sœur et épouse de Jupiter.
Protectrice des femmes, elle symbolise le mariage lorsqu’elle est représentée recouverte de voiles, et elle est associée à la fécondité lorsqu’elle en tient l’emblème : la grenade.
Le sixième mois du calendrier romain aurait été nommé juin en son honneur par les Romains.
Dans l’émission du bestiaire JUNON est représentée sous la forme de biche ou chèvre, mais il s’agirait, au vu de la barbiche, plutôt d’une chèvre. Les légendes de revers sont IVNONI CONS AVG [À Junon protectrice de l’Augusta].
À Lanuvium, en Italie, la Junon tutélaire portait une peau de chèvre, une javeline, un petit bouclier et des escarpins recourbés en pointe sur le devant.
Voilà qui nous guide pour l’attribution de la chèvre.
Son animal favori était le paon mais celui ci a sûrement du être évité pour ne pas se confondre avec le monnayage classique de Junon (avec un paon à ses pieds, comme sur l’aureus de Julia Domna illustré plus haut).
En 2007 nous rappelions que Junon présidait aussi à la monnaie, d’où son surnom de Moneta et qu’on devait peut être y voir un appel à Junon pour qu’elle aide Gallien à rétablir l’ordre Monétaire.
Mais Moneta est plus ancienne que la monnaie : la monnaie vient de Moneta, pas l’inverse et Junon n’est plus associée à la monnaie depuis Domitien.
Mercure
Mercure (Hermès en grec) est le dieu du Commerce, des Voyages et messager des autres dieux dans la Rome antique/l’empire romain.
L’invocation à Mercure a donc plusieurs desseins :
- rétablir l’économie (dieu du commerce)
- protéger Gallien dans ses nombreux voyages
- et surtout faire passer le message de Gallien aux autres dieux invoqués
Les monnaies de la série du bestiaire représentent Mercure grâce au Cryocrampe. La légende de revers est MERCVRIO CONS AVG [À Mercure, protecteur de l’auguste].
Le cryocampe
Les attributs traditionnels de Mercure sont :
- la bourse – le plus souvent tenue à la main
- Pégase
- le caducée
- des sandales et/ou un pétase ailé
- ainsi qu’un coq et/ou un bouc.
Sur l’émission du bestiaire il est représenté par un Cryocampe, espèce de bélier marin représentant donc un attribut de Mercure.
Hercule
Héraclès, de son premier nom Alcide, fils de Zeus et d’une mortelle, est un des héros les plus vénérés de la Grèce antique. La mythologie grecque lui prête un très grand nombre d’aventures qui le voient voyager à travers le monde connu des Doriens puis de toute la Méditerranée à partir de l’expansion de la grande Grèce, jusqu’aux Enfers, et dont les plus célèbres sont les douze travaux, qui ne représentent pourtant qu’une petite part de sa geste héroïque.
Il n’est pas besoin de préciser que les taches successives de Gallien pendant toutes ces année peuvent être perçues comme les douze travaux d’Hercule surtout dans ses chantiers d’anéantissement des monstres en Occident et en Orient.
L’émission du bestiaire reprend deux des douze travaux qu’Hercule effectua : le lion du mont Cithéron et la capture du sanglier d’Érymanthe. Les légendes de revers sont HERCVLI CONS AVG [À Hercule conservateur de l’auguste].
Le lion
Le lion du mont Cithéron, près de Thèbes, terrorisait le royaume de Créon et de Thespios. Aucun chasseur n’osait affronter l’animal.
À dix-huit ans, Héraclès réalisa le premier de ses exploits en tuant le fauve à l’aide de sa massue taillée d’une seule pièce dans un olivier sauvage déraciné sur l’Hélicon.
Héraclès dépeça la bête et se couvrit la tête de sa peau en guise de casque. Selon certains, il s’agirait de la peau du lion de Némée
Le sanglier
Le troisième travail d’Héraclès consistait à capturer vivant le sanglier d’Érymanthe.
Cette bête sauvage faisait des dégâts sur le territoire de Psophis, en descendant du mont Érymanthe, en Arcadie.
La représentation des travaux d’Hercule sur les pièces de monnaie de Gallien peut être perçue comme une métaphore puissante pour illustrer les épreuves et les défis qu’un empereur romain devait surmonter pour gouverner avec succès.
Cela renforce le caractère héroïque de Gallien et sa capacité à relever des défis similaires à ceux d’Hercule dans l’Antiquité.
Siscia
La dernière émission monétaire produite à Siscia avant la disparition de Gallien (février/début juin ou septembre 268) reprend la série du bestiaire.
Cette série parallèle émise par l’atelier balkanique est désormais attestée par un petit ensemble de vingt-deux antoniniens répartis en deux séries, l’une sans marque, l’autre portant la signature SI.
Nous reviendrons en détail sur cette série dans un prochain article.
Une hypothèse possible pour l’interprétation de l’émission ?
Une hypothèse d’interprétation pour cette série pourrait donc être liée au désir de Gallien de se présenter comme une figure résistante et héroïque, à l’instar d’Hercule, qui a conquis de grands défis et protégé l’Empire romain contre de nombreuses menaces. En invoquant des symboles mythologiques et des divinités, Gallien cherche à renforcer son image de leader fort et compétent aux yeux de ses sujets et de ses rivaux.
Mais quelle pourrait être la signification de cette série de pièces qui semble particulièrement cohérente ?
On est d’abord surpris de l’absence de quelques figures habituelles sur les monnaies de l’époque : les divinités allégoriques comme Virtus, Felicitas, Aequitas, et des dieux et déesses comme Minerve ou Mars.
On remarque également des revers spécifiquement astronomiques, voire astrologiques (mais dans l’Antiquité, c’est pareil), comme le Capricorne, le Sagittaire, et que l’on peut étendre à d’autres éléments de ces monnaies qui sont aussi des constellations, comme le Taureau, le Centaure, Pégase ou Hercule.
Dès lors, on peut se demander si cette émission n’a pas une signification astrologique.
On remarque aussi que d’autres de ses figures peuvent aussi avoir une dimension céleste. Sol est évidemment le soleil. Diane est associée à la lune. Apollon l’est au soleil également, mais il est aussi le protagoniste de nombreux catastérismes, ces légendes derrières les constellations et les objets célestes. Jupiter et Mercure sont des dieux mais aussi des planètes.
On pourrait ensuite chercher à faire correspondre d’autres éléments de cette émission avec des objets célestes (Amalthée et la Chèvre à l’origine du capricorne, Liber à celle de la Couronne, le cryocampe et le Bélier, Junon et la Voie Lactée…) mais le raisonnement relèverait parfois de l’acrobatie intellectuelle plus ou moins farfelue. Neptune et l’hippocampe, ainsi que le sanglier, résistent cependant à l’interprétation.
Si cette émission avait une signification astrologique, on pourrait y voir la proclamation d’un destin cosmique pour Gallien, promis à la réussite par les astres et le cosmos. On sait comme les empereurs y étaient sensibles, Auguste en particulier avec son signe fétiche du Capricorne.
On pourrait aussi peut-être y voir une allusion à son initiation éleusinienne : les images et noms pourraient faire écho à la vision du cosmos et aux mystères révélés à l’empereur. On sait, par nature, peu de chose des mystères, mais les quelques éléments que nous semblons comprendre ont souvent trait aux cieux et aux astres (le Soleil et la Lune pour Mithra, les Gémeaux/Cabires pour les mystères de Samothrace, le Poisson et le Bélier pour les Cavaliers Danubiens…).
L’émission du bestiaire serait-elle une émission astrologique et cosmique ? Et était-elle seulement conçue pour être comprise ?
Autre articles thèmes de collection :
- Les monuments sur les monnaies romaines : les arcs de triomphe
- Les chars sur les monnaies romaines
- Les empereurs impossibles à collectionner
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Bibliographie
Wolkow Cédric, Catalogue des monnaies romaines – Gallien – L’émission dite » Du Bestiaire » – atelier de Rome (édition 2019).
Dispo aussi sur Amazon
- Carradice, « Appendix 5. The Animals on the ‘Cons Aug » Coins of Gallienus’, in E. Besly & R. Bland, The Cunetio Treasure. Roman Coinage of the Third Century AD, London (1983), pp. 188-94.
- Doyen, Les Conservatores Augusti : une émission du « Bestiaire » de Gallien à Siscia (267/268 apr. J.-C.), Bulletin du Cercle d’Études Numismatiques, 2023, 60 (3), pp.10-16.
- Hygin, L’Astronomie, texte établi et traduit par André Le Boeuffle, C.U.F., Paris, 2002
Origine des images
- Camée représentant la capture par le roi sassanide Shapur Ier de l’empereur romain Valérien (253-260) ©Bnf
- Denier de la république avec Apollon au droit, Classical Numismatic Group, Triton Xxiv, Lot 941
- Centaure sur statère grec, Numismatica Ars Classica, Auction 84, Lot 636
- Diane sur antoninien de Milan, Classical Numismatic Group, Electronic Auction 343, Lot 548
- Diane sur antoninien d’antioche, Classical Numismatic Group, Electronic Auction 231, Lot 200
- Aemilien, revers Diana Victri, Classical Numismatic Group, Electronic Auction 544, Lot 547
- Statère avec Griffon, Numismatica Ars Classica, Auction 138, Lot 156
- Griffon à gauche, Classical Numismatic Group, Electronic Auction 496, Lot 637
- As d’Aurélien, Classical Numismatic Group, Electronic Auction 108, Lot 286
- Elagabale, dernier SANCT DEO SOL, collection Mcalee, Classical Numismatic Group, Electronic Auction 475, Lot 203
- Corinthe – Septime Sevère – Bellerophon & Pégase, Stock Bnumis
- Gallien, pégase à gauche, Leu Numismatik, Web Auction 27, Lot 1996
- Antoninien de Valérien II au revers IOVI CRESCENTI, Classical Numismatic Group, Triton Xxiv, Lot 1139
- Liber sur denier de la république, Numismatica Ars Classica, Spring Sale 2020, Lot 588
- As d’Agrippa avec Neptune au revers, Auktionshaus H. D. Rauch, Auction 102, Lot 31
- Aureus d’auguste au capricorne, Numismatica Ars Classica, Auction 127, Lot 301
- Gallien, Aureus DEO AUGVSTO, Classical Numismatic Group, Triton Xxvii, Lot 6296
- Julia Domna, aureus, Numismatica Ars Classica, Auction 105, Lot 59
- Denier avec JUNON MONETA, Numismatica Ars Classica, Vente 63, Lot 213
- Maximien Hercule, Aureus avec Hercule, Numismatica Genevensis, Auction 13, Lot 90
- Détail de l’Atlas Farnèse (musée de Naples), photo Sailko, CC
🤩😍😍😍 splendide j’ai adoré
🤩😍 splendide j’ai adoré c’est le bestiaire qui m’a attiré vers gallien puis la passion s’est élargi à toutes les légendes et à la famille de gallien et j’ai eu et j’ai la chance d’avoir croisé ta route et d’échanger tant de fois avec toi maestro merci pour l’article splendide et tout le temps que tu me consacres un grand merci et bravo
Toujours très instructif et bien documenté. Une nouvelle fois bravo pour ce travail !
Excellent, comme d’habitude. Quelques belles raretés en illustration.