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L’Égypte romaine : domaine personnel de l’empereur
Après la « disparition » de Cléopâtre VII et « l’élimination » du dernier pharaon (oui, Cléopâtre VII n’a pas été « le dernier » Pharaon), Ptolémée XV Philometor Philopator Caesar, dit « Césarion », Octave, futur Auguste, décide que le territoire égyptien ne sera pas une province comme une autre.
Il en fait son domaine personnel, qu’il va doter d’un « PRAEFECTVS AEGYPTI », de rang équestre (et non sénatorial, comme c’était l’usage), muni de « l’imperium » et du statut proconsulaire.
Pour éviter tout problème avec le Sénat, il interdit même à ses membres de se rendre en Égypte sans son autorisation expresse ! Il faut dire que l’Égypte va fournir le plus gros contingent de l’annone (l’approvisionnement de Rome en nourriture), ce qui vaut bien quelques précautions !
Un atelier d’une longévité exceptionnelle
Créé par les Ptolémée – après Memphis ?? – dès le début de la création de la ville, l’atelier d’Alexandrie va émettre, sans interruption, un numéraire spécifique jusqu’à la fin de l’usurpation de Domitius Domitianus, en mars 297 de notre ère.
À partir de cette date jusqu’à l’époque byzantine il frappe ensuite des monnaies communes à tout l’Empire (avec les marques d’atelier SMAL, ALE, le plus souvent).
Ainsi, les monnaies romaines d’Égypte émises par cet atelier témoignent de la richesse et de la longévité de cette production monétaire sous le contrôle direct de l’empereur. »
La langue d’usage « officielle » de l’Égypte…
… est le grec, comme de tous les territoires orientaux – même si le démotique est encore utilisé par une partie de la population pour des actes de la vie courante (comptabilité, contrats divers, etc.).
Ce sera donc en grec que seront rédigées les légendes de droit – et les quelques légendes de revers – des monnaies provinciales d’Alexandrie – et le plus souvent en MAJUSCULES -.
Au fil du temps, certains signes vont être simplifiés sur les monnaies romaines d’Egypte pour faciliter le travail des scalptores : Le O remplacera assez rapidement l’ω, le Σ sera remplacé par sa version cursive : C , et la barre du Y se réduira au point de ressembler à un V.
Les titulatures sont traduites quand elles peuvent correspondre à des termes connus des autochtones : « IMPERATOR » se métamorphose en « AVTOKPATOP » (autokrator), par contre certains termes « intraduisibles », comme « CAESAR » restent inchangés – sauf pour l’alphabet – « KAIC[AP] ».
Surtout, de manière impensable pour un « vieux romain », l’Empereur de Rome est aussi Pharaon d’Égypte, il est donc « CEBACTOC » (sebastos), c’est-à-dire » le vénérable » ( différent de basileus ou de tyranos qu’on trouve d’ordinaire chez les Grecs), et traduction idéale du titre « auguste » !
L’on va trouver également dans la titulature des qualités – réelles ou supposées ! – attribuées au souverain, il est souvent Évergète, résumé en « EVC », voire « germanique » ΓEPM, etc
Une monnaie toujours datée
Les émissions d’Alexandrie portent systématiquement une date, soit au droit – surtout au début de la période – soit, le plus souvent au revers.
Elle prend la forme d’un signe rappelant le L – sans doute une résurgence du signe démotique pour « l’année » (renepet) – ou du mot « année » en grec ETOYC (etous), puis ETOVC, et d’une lettre grecque qui exprime un chiffre selon le tableau ci-après :
Le chiffre est celui de l’année règnale de l’Empereur, selon le calendrier égyptien traditionnel – de 12 mois de 30 jours, auxquels on ajoute 5 jours « épagomènes » – , qui débute le 19 juillet de notre calendrier .
Ceci explique qu’un empereur ayant accédé au pouvoir en juin se voyait attribuer un « an 2 » (LB), dès le 19 juillet suivant et qu’à l’inverse on va voir des mentions d’un règne plus long pour un souverain décédé juste après cette date !
Ceci étant posé, il est temps d’entreprendre la lecture de ces monnaies !
Le droit (l’avers)
Il va comporter au moins sur les plus grosses dénominations, drachmes et tétradrachmes, le buste de l’Empereur/Pharaon, tourné à droite ou à gauche, lauré, nu, drapé, cuirassé ou drapé et cuirassé.
Au début, la légende est très courte, souvent limitée à ΣEBAΣT[OΣ] ( = CEBACTOC, sebastos , c’est à dire Roi) comme expliqué plus haut et comme sur cette monnaie d’Auguste.
La première apparition du nom de l’empereur semble dater du règne de Tibère … et figure au revers :
Mais, rapidement, avec la diffusion de monnaies d’un plus grand diamètre (drachmes et tétradrachmes), le style – presque – définitif va apparaître : titulature au droit, plus ou moins longue, et datation dans le champ, au droit, puis au revers. Et ceci jusqu’à la fin sur les monnaies de Domitianus !
Les revers
Ils sont plus variés qu’on le pense généralement, même si, vers la fin l’aigle impériale devient très fréquente.
Ils peuvent représenter des divinités, en pied ou en buste, des allégories (Alexandrie personnifiée), des animaux représentatifs de l’Égypte (crocodile, hippopotame, ibis, etc.), des empereurs divinisés, ou même des épouses impériales.
L’année régnale, y figure le plus souvent, en abrégé ou en toutes lettres.
Comme noté plus haut on retrouve énormément d’aigles mais, quand même, dans des postures très variées – corps, tête et ailes – et des additifs dont la signification n’est pas toujours évidente !
En résumé, un monnayage varié et attractif, facile à déchiffrer avec un peu d’habitude et qui couvre une grande partie de la durée de l’Empire Romain.
En plus, ce monnayage est très bien documenté : en ligne, grâce à l’indispensable RPC on line – dont toutes les illustrations présentées ici sont issues et par de nombreux ouvrages, dont les principaux sont indiqués plus bas en bibliographie.
Jean Rougemont, ADMR n° 106
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Bibliographie (liens affiliés)
- GEIßEN Angelo : Katalog Alexandridrinischer Kaizermünzen der Sammlung des Instituts für Altertumskunde des Universität zu Köln (5 vol. 1978)
- EMMETT, Keith : Alexandrian Coins (2001)
- KAMPMANN, Ursula & GANSCHOW, Thomas : Die Münzen der römischen Münzstätte Alexandria (2008)
- POOLE, Reginald Stuart : A Catalog of the Greek Coins in the British Museum, Vol. 16, Alexandria (London, 1892]
- MILNE, J.G. : Catalogue of Alexandrian Coins (Oxford 1933, reprint with supplement by Colin M. Kraay, 1971)
- CURTIS J. W. : The Tetradrachms of Roman Egypt (1969)
- KELLNER Wendelin : Die Münzstätte Alexandria in Ägypten
- SAVIO Adriano : Alexandrische Münzen/ Monete Alessandrine (1997)
- Sans oublier les volumes des SNG, dont les deux parus pour la BNF, ainsi que la version papier du RPC.
Merci beaucoup Jean pour cet article très intéressant et merci à Cedric de le relayer ! Ne me reste plus qu’à creuser le sujet et à me pencher sérieusement sur mes monnaies » à l’aigle »!