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C’est quoi une monnaie romaine « provinciale » ?

    Monnaies provinciales romaines

    Partie I : La république

    Temps de lecture : 7 mn

    PRATIQUER > LES MONNAIES ROMAINES DE A à Z > LES MODULES

    La progression de Rome, d’une cité-état à une puissance méditerranéenne, a donné naissance à des « monnaies provinciales ». Émises localement sous l’autorité romaine, ces pièces affichent une diversité remarquable en termes d’iconographie, de modules, de styles et de messages, transcendant les frontières méditerranéennes pour témoigner de l’originalité profonde de la monnaie romaine.

    Introduction

    Le monde romain était loin d’être un état comme on l’entend aujourd’hui. Sa construction est progressive, son évolution plus ou moins « improvisée » au fur et à mesure.

    Rome, à l’origine, est une cité-état comme en connaissait le monde grec. Son territoire s’est étendu, à tout le Latium, puis toute l’Italie, puis toute la Méditerranée.

    carte du monde romain et monde grec

    Mais les « conquêtes » avaient des statuts différents selon les circonstances : socii, colonie, municipe, ou même état satellite… Qui s’accompagnent de droits et prérogatives différents, parmi lesquels le droit de frapper monnaie. De toute façon, le seul atelier de Rome ne pouvait pas alimenter en numéraire toute la Méditerranée.

    Ces monnaies émises légalement, pour un usage localisé, au nom du pouvoir romain, par une autorité locale, après avoir porté le nom de « monnaies grecques impériales », sont aujourd’hui appelées « monnaies provinciales ».

    En effet, si beaucoup portent des inscriptions en grec, ce n’est pas toujours le cas. Et on n’en trouve pas qu’en Méditerranée orientale, mais aussi en Occident latin.

    Ces monnaies indubitablement romaines sont cependant profondément originales par leur iconographie, leurs modules, leurs styles et leurs messages.

    La seconde guerre punique et ses conséquences

    La seconde guerre punique (-218 / -202) fut un électrochoc pour les Romains : elle les obligea à délocaliser des ateliers monétaires et à frapper, entre autres, depuis la Sicile (comme pour les bronzes au dauphin ou à l’épi).

    Après la défaite de l’empire carthaginois, la République romaine veilla à bien effacer toute trace de la puissance punique et, dès lors, seules des monnaies du pouvoir central circuleront en Afrique.

    Il en va autrement des territoires puniques d’Espagne sur la côte méditerranéenne, que la République récupère sous les noms d’Hispania Citerior et Hispania Ulterior.

    Là on émet des monnaies en alphabet celtibère au nom de cités, mais stéréotypées, sur l’étalon du denier romain d’argent et avec un homme barbu à l’avers et un cavalier au revers. Il existe même un denier frappé à Bolscan/Osca/Huesca pour la République romaine avec un avers reproduisant un denier celtibère.

    Il en va de même pour les bronzes. On les appelle deniers et as celtibères, mais ils sont conçus pour équivaloir les monnaies romaines. Peut-on les considérer comme des monnaies romaines provinciales ? Pouvait-on payer indifféremment avec les uns et les autres ?

    Des « communautés monétaires » en Italie du Sud ?

    En Italie du Sud, on a pu observer, très tôt (dès le IVè siècle), des monnayages en alphabet latin, avec des iconographies (comme le coq) qui peuvent laisser penser qu’il existait des communautés monétaires qui auraient pu aussi faciliter les échanges avec la puissante Rome. Ainsi en Campanie, Calès devient colonie latine en -335, Suessa Aurunca en -313…

    Par la suite, des bronzes ont porté, en Grande Grèce, comme à Rome, des globules pour chaque once, allant jusqu’à douze pour la litra, permettant peut-être des équivalences avec les bronzes de la République, adoptant parfois même leur iconographie (Janus…) ou les chiffres romains (I ou X).

    Tout ceci ne semble pas émaner du pouvoir romain mais chercher à faciliter les échanges avec lui.

    Les premières monnaies réellement provinciales

    La Grèce

    En Grèce, la conquête romaine de -147 a entrainé, très logiquement, la disparition des images de monarques hellénistiques.

    Les Romains firent donc frapper non plus à l’échelle des royaumes, mais de cités, à qui la République rendait une certaine autonomie dans les affaires locales, et qui cherchèrent en retour à flatter le conquérant tout en célébrant leur propre gloire passée.

    C’est ainsi par exemple que la tête du vainqueur Titus Quinctius Flamininus figura sur un statère d’or au revers T·QVINCTI.

    L’inscription est latine, le portrait celui d’un Romain. Mais le module est grec et l’usage de faire figurer un contemporain de son vivant sur une monnaie profondément lié à la monarchie hellénistique.

    Cette monnaie, parfois considérée comme républicaine (Crawford lui donne la ref 548/1) semble en réalité profondément provinciale, même si l’or ne sera pas frappé par les provinces : l’état central se réserve le privilège de frapper l’aureus.

    L’Asie

    En Asie, Rome hérita (littéralement) du royaume de Pergame en -133, légué par Attale III.

    Devenu la province d’Asie, son monnayage royal disparut mais subsistèrent des monnaies civique (c’est-à-dire émis par une cité) portant des corbeilles (cistes) d’où sort un serpent dans une iconographie mystique.

    On les appelle donc cistophores ( pour lire l’article dédié à ce type de monnaies 👉Il était une fois…le cistophore)

    Des usages créatifs, originaux, et différents de ceux de la monnaie centrale

    Dès ses débuts, à l’époque républicaine, la monnaie provinciale romaine est un terrain d’innovation, de création, d’expérimentation. On l’a vu avec les monnaies macédoniennes de Flamininus : c’est en dehors de la monnaie centrale qu’apparaît le portrait d’un romain sur une monnaie de son vivant.

    Il en va de même pour des figures aussi emblématiques que Jules César.

    L’historiographie s’est beaucoup interrogé sur les portraits de César sur les deniers républicains : lesquels pourraient être posthumes et lesquels lui seraient contemporains. Pourtant, avant même les monnaies de l’état central, c’est en province qu’on trouve son portrait.

    Sur des bronzes de Nicée (RPC I 2026), en Bithynie, datés en grec ϚΛΣ (soit 47-46 av JC), on trouve à l’avers le portrait du dictateur, dans un style bien plus élégant et grec que ceux de 44 à Rome.

    Il est possible que d’autres bronzes provinciaux avec le portrait de César remontent aussi à 45, à Lampsaque.

    On y reconnaît donc le dictateur, dans un style qui semble préexister au portrait posthume tel qu’il s’imposera après les Ides de Mars 44.

    Dans cette veine furent frappés des bronzes provinciaux en Gaule avec des portraits de César, Octave, Agrippa… Le bronze de Nîmes est une monnaie provinciale !

    Pour conclure

    Ces systèmes monétaires divers au sein du monde romain rendaient nécessaire des changes qui permettaient des prélèvements de l’État, des frais et même des fraudes dont Cicéron essaie d’avertir Atticus : « Assurez-vous qu’il n’y a pas d’alliage dans l’or de Célius. Cela s’est vu ; c’est bien assez de tout perdre sur le change, sans perdre encore sur l’or. » (Ad Att. XII, 6, 1)

    On voit comment la diversité des statuts des régions sous la République (province, colonie, municipe…) entraine une diversité d’usage de la monnaie :

    • parfois la monnaie centrale (Afrique),
    • parfois des monnaies d’initiative locales mais peut-être en union monétaire (Italie, une partie de la Grèce),
    • parfois survivance d’un système antérieur mais dirigé par le fonctionnaire romain (Asie).

    On voit ici à l’œuvre le génie romain du syncrétisme1 : intégrer ce qui existait avant la conquête et n’est pas incompatible avec son hégémonie…les cultes, les institutions, mais aussi les systèmes monétaires.


    Cette qualité, au fondement du génie romain, permettra aussi, sous l’Empire, l’émission florissante et passionnante de monnaies provinciales, qui furent également, et c’est même là leur caractère le plus séduisant, un territoire d’expérimentation et d’innovation iconographiques.

    M.C.


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    Origine des images

    • Semis anonyme frappé en Sicile, RRC 72/5 Berlin, Münzkabinett der Staatlichen Museen
    • Denier Celtibère, Tauler & Fau Subastas, Auction 129, Lot 1184
    • Denier romain d’inspiration celtibère, DOM·COS· ITER·IMP, Ars Classica, Auction 63, Lot 568
    • Bronze Cales, Bertolami Fine Arts, Auction 44, Lot 6
    • Bronze Suessa, Leu Numismatik, Web Auction 17, Lot 47
    • Statère d’or, British Museum : 1954,1009.1
    • Revers de cistophore « C. CLAUDIUS PULCHER », Solidus Numismatik, Auktion 9, Lot 383
    • Bronze de Nicée, RPC on Line, RPC I, 2026
    • Lampsake, Assarion, Roma Numismatics Limited, E-sale 80, Lot 716
    • Bronze de Lilybée avec Janus, Fritz Rudolf Künker, Auction 318, Lot 387
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    1. Combinaison de doctrines, de systèmes initialement incompatibles ↩︎

    1 commentaire pour “C’est quoi une monnaie romaine « provinciale » ?”

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