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PRATIQUER > LES ATELIERS
Les ateliers monétaires romains étaient responsables de la frappe de la monnaie officielle de l’Empire, une tâche d’une importance capitale, un rôle essentiel dans la régulation économique, la propagande politique et l’affirmation de la puissance impériale. Leurs opérations s’étendaient à travers tout le territoire romain, permettant ainsi de diffuser largement la monnaie romaine et de garantir sa valeur et sa reconnaissance. Mais comment la production est-elle organisée, par qui et dans quels édifices a t-elle lieu ?
Sommaire
- Une production sous contrôle
- Où est fabriqué la monnaie ?
- L’administration
- Activité, production & mutation
- Conclusion
- Bibliographie sélective
Une production sous contrôle
Le terme d’atelier monétaire (Argurokopeion dans le monde grec), de par sa définition même, fait référence au lieu où se déroule la production des pièces de monnaie. Cette production requiert un espace, des équipements, un outillage et des hommes : artistes et ouvriers.
L’atelier monétaire tient à la fois du domaine de la métallurgie et du travail de l’orfèvrerie et la nature spécifique de cette activité, la distinguant de toute autre forme de fabrication, impose à l’atelier des contraintes matérielles particulières.
Les monnaies sont des rondelles de métal (des flans préparés grâce à des lingots), qui reçoivent, à l’aide de coins, une empreinte qui en garantit la circulation légale et sa valeur.
Ce processus de fabrication méticuleux et précis garantit donc la confiance dans la monnaie en tant qu’instrument économique essentiel.
Il est alors évident que tous les outils permettant de fabriquer les monnaies devaient être surveillés & protégés des vols pour éviter toute fabrication illicite.
A ce sujet la littérature numismatique (Bastien & Grierson, entre autres) nous apprend, grâce à l’étude de l’assemblage des coins de droit et de revers que les premiers étaient réunis en fin de journée auprès des officines, vérifiés, comptabilisés et mis en sécurité jusque la prochaine journée de travail.
Hormis le matériel qui permettait de frapper les monnaies, le métal brut lui même devait être comptabilisé rigoureusement. Bien entendu, la production du jour elle même – les monnaies – devait subir encore plus de contrôle : vérifiées, pesées, mises en sac, et entreposées sous surveillance étroite avant d’être mises en circulation.
En résumé, toutes les opérations, depuis l’arrivée du métal en lingot dans l’atelier, jusque la sortie des monnaies prêtes à circuler nécessitaient des garanties de sécurité et de surveillance interne extrêmement strictes.
Où est fabriquée la monnaie ?
Si vers 50 avant J.-C. les généraux et les homme politiques ont leurs propres ateliers qui monnaient abondamment en suivant les armées (Pompée, César, Brutus, Octave), depuis 30 av. J.-C. et jusqu’au IIIe siècle, la plupart des monnaies sont frappées à Rome.
Les édifices à Rome : Junon Moneta
Le temple de Junon Moneta est dédié en 343 av. J.-C. sur le capitole, à Rome, à l’emplacement de la maison de Marcus Manlius Capitolinus détruite en 384 av. J.-C.
Jusque sous Domitien, l’atelier monétaire de Rome a sans doute été placé dans les annexes de ce bâtiment, tandis que le bâtiment principal réunissait l’administration et les archives de la production.
Moneta Caesaris
Ensuite, en raison de l’incendie de 80, l’atelier fut transféré dans les environs du Colisée, probablement sur l’emplacement actuel de l’église San Clemente.
En effet, entre le Célius et L’Esquilin, un grand édifice pourrait être l’atelier monétaire. Le bâtiment de forme rectangulaire, avec des murs extérieurs bâtit de gros blocs de tuf, abrite une succession de pièces étroites et voutées en en berceaux qui semblent ne jamais avoir eu d’accès et d’ouvertures vers l’extérieur.
L’édifice fut détruit et reconstruit dans la seconde partie du IIIe siècle et sa destruction pourrait être mise en relation avec la révolte des ouvriers de la Monnaie sous Aurélien (270-275).
Les autres ateliers de l’Empire
Quelques bronzes avec l’autel des Gaules sont émis à Lyon en début de notre ère, mais la ville devient capitale des Gaules sous Tibère et la ville reçoit la charge de frapper l’or et l’argent jusqu’en 64.
Ensuite Néron répartit les émissions entre Lyon et Rome qui ne frappait auparavant plus que du bronze depuis Tibère.
Sous Vespasien, le successeur de Néron, l’or, l’argent et le bronze sont également frappés à Lyon mais en quantités réduites. On notera un peu d’argent frappé à Éphèse.
A la fin du règne de Vespasien les émissions lyonnaises cessent et Rome prend le monopole pour les monnaies officielles, celles en langue latine. Hormis quelques exceptions (Albin qui frappe à Lyon et Septime Sévère à Laodicée, en Syrie), Rome maintiendra son monopole malgré quelques frappes à Antioche.
C’est seulement à partir du règne de Valérien que les émissions sont délocalisées de manière notable pour être plus proches des armées (Cologne, Antioche, Samosate) mais nous verrons cela plus en détail dans un article dédié à la localisation des ateliers de l’Empire.
L’administration
De la république jusqu’au Ier siècle
Depuis la république romaine et jusqu’au premier siècle au moins, ce sont des magistrats monétaires – le triumvir monétaire – qui sont chargés de la frappe monétaire et de la gestion de la monnaie dans l’Empire romain. Ce titre était généralement attribué à trois personnes qui agissaient conjointement en tant que triumvirat. Mais ces tresviri monetales (III VIRI AAA FF) ont pu se répartir l’année et être aux manettes 4 mois chacun.
Leur rôle principal, jusqu’à Auguste, était de superviser les ateliers monétaires, de déterminer les types de pièces à frapper, d’établir les valeurs monétaires et de veiller à ce que les normes de qualité soient respectées. Les triumvirs monétaires étaient responsables de l’approvisionnement en monnaie dans l’Empire et jouaient un rôle crucial dans le contrôle de la circulation monétaire. Ils sont encore mentionnés jusqu’au IIIè siècle, mais seul rôle devait être largement symbolique et honorifique et soumis à l’a rationibus.
Évolution aux Ier et IIè siècles.
Au niveau administratif, le procurateur « a rationibus » [chargé des comptes] est un haut fonctionnaire de l’administration fiscale de l’Empire. Cette fonction était à l’origine réservée à un affranchi et rétribuée 400 000 sesterces par an. Vespasien réserva ensuite cette charge à une chevalier et était la plus élevée de l’administration. Il était secondé par le procurator summarum rerum ou procurator summarum rationum [administrateur des plus hauts comptes]rémunéré 200 000 sesterces. Leurs services employaient des tabulari (comptables), adjutores (assistants) ainsi que de nombreux affranchis et esclaves impériaux.
Leur rôle principal était de superviser les finances de l’État et de gérer les recettes fiscales. Cela incluait la collecte des impôts, la gestion des dépenses publiques et le contrôle des comptes de l’État.
L’a rationibius était un poste de confiance et d’autorité, chargé de veiller à ce que les finances de l’Empire soient gérées de manière efficace et transparente.
Il a été désigné vers le milieu de IIIe siècle sous un autre nom : le rationalis summae rei [comptable des grands biens] ou plus simplement rationalis [comptable], terme qui restera uniquement utilisé à partir de la Tétrarchie.
Constantin, au moment de ses vicennales (324-325) transforme le nom de rationalis qui devient le comes sacrarum largitionum [comte des largesses sacrées ], abregé CSL.
Les attributions ne semblent pas changer mais elles évolueront avec le temps.
L’atelier de la monnaie, lui, était sous la responsabilité du procurator monetae, de rang équestre lui-aussi, qui était rémunéré 100 000 sesterces. Ce poste semble avoir été essentiellement administratif et n’aurait pas nécessité de compétences particulières dans le domaine économique ou technique, car la plupart de ceux dont on connaît la carrière ont essentiellement des expériences militaires. Dans la pratique, c’est sans doute l’exactor, affranchi impérial, qui dirigeait l’atelier.
L’activité des ateliers monétaires
Organisation de la production
Les ateliers monétaires comporte une ou plusieurs officines. L’organisation de la production et la production de frappe dépendaient des besoins en numéraire immédiat à un moment donné et il est important de noter que tous les métaux ne sont pas systématiquement frappés dans tous les ateliers. Certains ateliers n’ont par exemple jamais frappé d’or.
L’émission de monnaies étant un acte plus occasionnel que régulier, les ateliers monétaires ne fonctionnaient donc pas de façon continue et des périodes d’activité intense (à extrêmement intense) pouvaient succéder des périodes de production légère ou même des mises en sommeil.
On a par exemple pu voir, dans l’atelier de Rome, sous le règne de Gallien une émission IV avec 6 officines qui frappent très peu, puis un passage de 6 à 9 officines et de 9 à 12 officine pendant l’émission V.
Il découle de cette activité en dents de scie une souplesse de travail et des transferts de personnels entre ateliers. Gallien par exemple, ouvre l’atelier de Siscia avec un graveur de Rome.
Les marques d’officines
C’est à partir du règne de l’empereur Philippe Ier que les monnaies commencent à porter des marques qui permettent un contrôle de la fabrication.
En effet, à l’occasion des jeux séculaires, il fait frapper des antoniniens qui portent à l’exergue du revers la marque des cinq officines en activité.
Par la suite, les marques d’atelier prennent progressivement de l’importance. Le nom de l’atelier apparait sous le règne de Gallien à Milan dont les dernières émissions sont signées MP, MS et MT et peut être a Rome avec les marques RP et PR.
On voit aussi apparaitre des signes divers (croissant, étoiles, globule, palme…) pour différencier les émissions ou/et officines.
Au fil du temps ce système devient de plus en plus complexe mais une fois traduit, il permet au numismatiste de reconstruire les séquences d’émissions et de les dater avec précision.
Mutations & délocalisations
Comme noté plus haut concernant la création de l’atelier de Siscia avec un employé de l’atelier de Rome, des sortes de relais s’établissent entre ateliers, comme par exemple à Milan qui frappe avec trois officines sous Gallien, Claude et Quintille puis quatre officine sous Aurélien, jusque sa réforme ou ce dernier transfère le personnel et le matériel à Ticinum en y ajoutant deux officines de plus.
Diocletien supprimera 3 officines, Constantin en rajoutera une, puis une seconde avant de fermer l’atelier pour transférer le matériel et le personnel vers Constantinople en 326.
D’autres schémas identiques ont été relevés en numismatique (Carthage > Ostie > Arles).
On peut ainsi remarquer que les délocalisations et autres mutations professionnelles ne datent pas d’hier…
Conclusion
Ces centres de production étaient bien plus que de simples lieux de fabrication de pièces de monnaie, ils étaient le cœur battant de l’économie romaine.
L’activité intense des ateliers monétaires, entre métallurgie et travail de l’orfèvrerie, était soutenue par une main-d’œuvre spécialisée, artistes ou ouvriers.
L’administration habile et organisée de ces ateliers a permis de maintenir un approvisionnement constant en monnaie, garantissant ainsi la stabilité financière de l’empire. La production massive de pièces de monnaie témoigne également de la puissance économique et politique de Rome à cette époque.
Ces ateliers étaient répartis à travers l’empire, depuis Rome jusqu’aux régions lointaines de l’empire, ce qui souligne l’importance accordée à la production monétaire et à son contrôle. Chaque atelier avait ses propres caractéristiques et marques distinctives, reflétant ainsi la diversité et la richesse de l’Empire romain.
Au-delà de leur importance économique, les pièces de monnaie produites par ces ateliers sont des témoins historiques inestimables. En explorant le fonctionnement et l’administration des ateliers monétaires romains, nous nous ouvrons les portes d’un passé riche en connaissances et en curiosités. Ces ateliers étaient véritablement des centres d’innovation, de commerce et de culture, où le pouvoir de Rome se matérialisait en pièces de monnaie.
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Bibliographie
- M. AMANDRY (dir.), La Monnaie antique, 2017
- P. Bastien, Folles de l’atelier de Lyon frappés avec le même coin d’effigie, Schweizer Münzblätter vol. 10 (1960) p. 75-77
- C. Brenot, X. Loriot, D. Nony, Aspects d’histoire économique et monétaire de Marc Aurèle à Constantin, 161-337 après J.-C.
- A. BURNETT, La Numismatique romaine, de la République au Haut-Empire, 1988
- Ph. Grierson, Coins monétaires et officines à l’époque du Bas empire, Schweizer Münzblätter 41 (1961) p. 1-8.
- S. Estiot et P. Zanchi, « De Lyon à Trèves. L’ouverture de l’atelier de Trèves à l’époque tétrarchique et ses premières émissions : monnaie radiée et monnaie d’or (293-295 apr. J.-C.) », Revue numismatique, 6e série, vol. tome 171, 2014, p. 247-296
Origine des images
- Denier de Carisia, Monnaies d’Antan, Auction 7, lot 158
- Aureus de Marc-Antoine, Numismatica ars classica nac ag, auction 92, lot 411
- Exagium solidi de Théodose,Honorius et Arcadius, Athena numismatic (Vcoins)
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