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SOMMAIRE
- De la Deuxieme Guerre Punique aux Gracques
- Des Gracques à Actium
- D’Auguste aux Sévères
- Au IIIè siècle
- La fin du denier
C’est sans doute le module qui a le plus survécu dans le français d’aujourd’hui : « les deniers publics », « sur ses propres deniers »… Il faut dire que pendant longtemps, il fut le cœur du système monétaire de toute la Méditerranée romaine, appuyé très largement sur l’argent. Parcourons l’histoire d’un module né il y a plus de 2200 ans et qui résonne encore aujourd’hui.
De la Deuxième Guerre Punique (vers -211) aux Gracques (vers -120) : la naissance d’un argent « romain »
La monnaie d’argent avant le denier : didrachmes et quadrigats
Le denier n’apparaît qu’une centaine d’années après les débuts de la monnaie dans le monde romain. Au début, un système de bronze (aes signatum puis aes grave) suffisait pour le monde italique. Et des monnaies d’étalon grec, d’argent et de bronze, étaient utilisées pour un commerce avec le monde hellénique (didrachmes, puis quadrigats).
Mais la Deuxième Guerre Punique (218-201) épuisa les finances de Rome, qui se vit réduite à frapper de l’or, à réduire l’aloi du quadrigat et à faire passer l’as de la livre à la demi-livre puis encore moins.
Comme souvent à ses débuts, l’innovation monétaire romaine se fit par expérimentation en Italie du Sud et en Sicile.
Le denier, une monnaie d’argent de 4 scrupules à l’iconographie très codifiée
En dernière extrémité, Rome instaura un nouveau système, bi-métallique (même si de l’or peut être exceptionnellement frappé), dans lequel la monnaie d’argent de base vaut dix as de bronze : le denarius ( = « qui vaut dix »), marqué à l’avers X (quand l’as est marqué I). C’est une des origines de notre système décimal contemporain.
Le poids du denier est à l’origine de 4 scrupules (env. 5g) puis rapidement de 3 scrupules et 3/7 (env. 4,4g), avant de baisser encore sous Néron à 3 scrupules (env. 3,8g). Alors que les didrachmes pesaient 6 scrupules.
La mise en place de ce nouveau système eut sans doute lieu vers 212-211 avnè. Le denier et ses divisionnaires d’argent (quinaire et sesterce) portent à l’avers une tête de Roma à droite, avec un X, dans une cercle de grènetis. Au revers, on trouve les Dioscures coiffés du pileus au galop avec une lance, une étoile sur la tête, sans doute en allusion à leur intervention pendant et après la bataille du lac Régille (vers 496). Ce revers porte l’inscription ROMA et il est ceint d’une ligne.
On insiste donc sur les succès romains à la guerre et les protections divines dont bénéficie Rome. Références utiles en contexte de guerre totale contre Carthage.
Les premières émissions sont anonymes. Mais rapidement, des symboles ou des inscriptions au revers sont censées permettre l’identification d’un responsable.
Les premières variations du denier : les biges et le passage à 16 as
Ensuite, des revers figurent un bige conduit par une victoire, ou d’autres divinités comme Luna. Peut-être après la victoire de Pydna en 168 qui vit la victoire de Rome sur la Macédoine.
Ce sont peut-être ces monnaies que Pline l’Ancien appelle bigati.
Dès lors, les revers se font le support d’une propagande des grandes familles, les gens, pour assoir leur renommée en vue des élections. Peut-être suite à la lex Gabinia tabellaria de 139. D’abord, il s’agit seulement de varier les divinités aux rênes du bige : victoire, Diane, Jupiter, Junon, Mars, Hercule [RRC 229/1]… Mais Roma reste le seul type d’avers de -211 à -119 et ne disparaîtra qu’en -91.
Entre 140 et 120 avnè, il semble que la valeur relative du denier fût modifiée, le portant de 10 à 16 deniers (sans changement de poids). En effet, à cette époque, à Rome circulaient des bronzes de poids divers et la Monnaie n’en produisait que de rares exemplaires neufs. Cependant, le poids des bronzes ayant continuellement baissé, il s’agit peut-être là d’une manipulation visant à rétablir un ratio argent / bronze autour de 1/112, proche du ratio originel (1/120) alors qu’auparavant il était plutôt autour de 1/60.
Certains (rares) exemplaires portent alors la marque XVI [RRC 226/1], d’autres un Ӿ qui pourrait être un monogramme de XVI, ou simplement un X épigraphique (on trouve aussi le IIS du sesterce barré en HS). Pline s’en fait l’écho, mais peu après les deniers reprennent leur X caractéristique.
Malgré tout, il semble bien que le denier continue de valoir 16 as car c’est bien ce que vaudra un denier du Haut-Empire. Ou bien sont-ils revenus à une valeur de 10 as ? Les auteurs ne s’accordent pas tous dessus.
La date de ce passage (temporaire ?) de 10 à 16 as reste mal connue. On connait deux deniers de deux frères Augurini de la gens Minucia, sans doute émis avec un an d’écart, et figurant tous deux la colonne honorifique érigée 300 ans plus tôt pour leur ancêtre.
L’un porte la marque X (RRC 242/1), l’autre Ӿ (RRC 243/1). Manifestement, le passage de l’un à l’autre a eu lieu dans ces années là.
Mais la séquence des émissions reste discutée. La numismatique est une science encore vivante où tout n’est pas forcément connu.
Le denier affirmait là sa place pivot dans un système monétaire romain où l’aureus est exceptionnel, le victoriat disparu, le quinaire et le sesterce très peu émis, et l’as rarement frappé après -145.
Cette réévaluation du denier est à mettre en lien avec la politique des frères Gracchus (les Gracques), en particulier la politique financière de Tiberius Gracchus (vers -140) ou entre les tribunats des deux frères (les années 120). Crawford penche, raisonnablement, pour les années -130.
Des Gracques (vers -120) à Actium (-31) : un foisonnement iconographique
L’âge classique de la monnaie républicaine
Dans cette deuxième partie de la République, l’iconographie des deniers devient particulièrement variée. Zehnacker qualifie même cette période de « monnayage républicain classique ». Les bronzes étant de plus en plus rarement émis, et le denier frappé en très grandes quantités, ce module d’argent inonda le monde méditerranéen et devint la monnaie par excellence.
Les avers se mettent à porter des portraits d’ancêtres divins, légendaires ou historiques.
Les revers se mettent aussi encore davantage au service de la propagande des gens en figurant des événements où ses membres se sont illustrés, qu’ils soient légendaires ou historiques.
On peut trouver des « armes parlantes » quasi-héraldiques, des allusions à l’origine des familles, ou à un culte gentilice.
On pense à l’éléphant des Metelli (RRC 262/1), au taureau des Thorii (RRC 316/1), au murex (coquillage qui produit la pourpre (purpura) de Furius Purpurio (RRC 187/1)…
Le denier serratus et autres innovations sans lendemain
En outre, après une tentative isolée vers 209-208, une mode semble se faire jour entre 118 et 80 : celle de découper de petites dents autour du denier. On l’appelle alors « denier serratus » (« denier dentelé »). On comprend mal cette pratique.
On a longtemps cru que ces dentelures, réalisées après la frappe, auraient permis d’empêcher la fraude des deniers fourrés. Mais il existe des deniers serrati fourrés.
Les spécialistes du monnayage de la République ne voient pas d’autre explication aujourd’hui que la mode.
Comme pour les bronzes serrati du monde hellénistique, ce sont sans doute des critères esthétiques qui ont vu apparaître, puis disparaître, de telles monnaies.
Parmi les changements qui ne durèrent pas, il existe les deniers de Caius Licinius Macer (RRC 354/1), qui vers -84 fit frapper des deniers très larges (pour un poids identique, donc beaucoup plus fins), souvent jusqu’à 24 mm (contre 18-19 mm habituellement).
L’objectif était sans doute de disposer d’une vaste surface pour déployer une iconographie complexe mais lisible.
Le denier, vecteur par excellence de la propagande des gens
Ainsi, Lucius Titurius Sabinus, de la gens Tituria, qui prétendait descendre de Tatius, le roi sabin qui avait affronté Romulus avant que son peuple ne soit intégré dans Rome, a-t-il fait figurer vers 89 sur des deniers le portrait de son ancêtre mythique et au revers des épisodes de la guerre sabine : l’enlèvement des Sabines (RRC 344/1) et la mort de Tarpeia (RRC 344/2).
De même, Caius Mamilius Limetanus, de la gens Mamilia, qui prétendait descendre de Télégone, fils d’Ulysse et de Circé, a fait figurer vers 82 sur un denier Mercure à l’avers (père d’Autolycos, grand-père d’Ulysse, il est donc un ancêtre divin de la gens) et Ulysse et son chien Argos au revers (RRC 362/1).
En -58, Marcus Æmilius Scaurus célèbre deux faits d’arme de sa gens comme s’il y avait deux revers (RRC 422/1). L’avers célèbre la soumission du roi Arétas de Petra, en -62, par Pompée dont le monétaire était un lieutenant.
Le revers commémore la prise de Privernum en -329 par Caius Hypsæus, ancêtre du monétaire. Le résultat est une monnaie difficilement lisible, tant le monétaire a voulu faire passer de messages.
En -56, Lucius Marcius Philippus émet des deniers dont l’avers représente le roi Ancus Marcius (ANCVS) dont la famille prétendait descendre.
Le revers figure l’aqueduc créé par son ancêtre et restauré par un autre aïeul : l’aqua Marcia (AQVA (MAR)) ainsi qu’une statue équestre de ce prestigieux ancêtre Ancus Marcius Rex, érigée en -144. (RRC 425/1).
Il ne s’agit là que de quelques exemples, mais chaque denier recèle des allusions, des références, des images qui lui sont propres et plus ou moins comprises aujourd’hui.
César, le premier Romain sur une monnaie de son vivant,ouvre la voie
Les portraits figurant sur ces deniers sont ceux d’ancêtres et sont toujours posthumes. Le premier à être figuré de son vivant sur une monnaie est Jules César.
Le denier RRC 480/2 a été frappé au tout début de l’année 44 av. J.-C., quand César n’était encore que dictateur pour la quatrième fois (CAESAR DICT QVART) et pas encore dictateur à vie. Le portrait aurait donc été fait du vivant de César, ce qui est tout à fait inhabituel et contraire aux usages, les portraits monétaires étant d’ordinaire posthumes.
Ici, la représentation rejoint largement la description qu’en fait Suétone dans La Vie des douze Césars : « Il supportait très péniblement le désagrément d’être chauve, qui l’exposa maintes fois aux railleries de ses ennemis. Aussi ramenait-il habituellement sur son front ses rares cheveux de derrière ; et de tous les honneurs que lui décernèrent le peuple et le Sénat, aucun ne lui fut plus agréable que le droit de porter toujours une couronne de laurier. » César est figuré le cou plissé, le sillon nasogénien marqué, le menton petit, le nez aquilin, et surtout le front dégarni. On le voit même porter la couronne de lauriers du triomphateur afin de dissimuler sa calvitie.
Dès lors, on n’hésita plus à se faire représenter de son vivant à l’avers avec des évocations d’événements contemporains au revers : Brutus et l’assassinat de César (RRC 508/3), Antoine avec Cléopâtre (RRC 543/1), Octave et l’érection du temple du Divin Jules (RRC 540/2)…
La transition est toute trouvée pour les deniers impériaux.
D’Auguste aux Sévères : le denier roi
Les deniers du Haut-Empire, une frappe sous le contrôle du prince
Durant le Haut-Empire, le denier s’affirme comme le pivot du système monétaire romain. Après la réforme d’Auguste en -19, Le trimétallisme s’installe, et le denier permet d’articuler les bronzes des petits échanges (le sesterce était alors devenu une grande monnaie de bronze) et la grande valeur de l’or. 6066 références de l’OCRE (sur 41710) concernent des deniers.
Mais, même si Auguste fait mine de toujours nommer des triumvirs monétaires, la frappe des deniers (comme celle des aurei) devient une prérogative du prince, qui la délocalise en -15 à l’atelier de Lyon qui devient même le seul à émettre or et argent de -12 à 78.
Cet atelier émet des quantités phénoménales, en particulier des deniers au revers avec Caius et Lucius, entre -2 et +4, qui se trouvent pendant plusieurs siècles dans des trésors jusqu’en Inde.
En outre, si Octave-Auguste peut se faire figurer à l’avers de ses monnaies tête nue, avec un ruban ou avec une couronne de lauriers, c’est cette dernière qui va rapidement s’imposer comme caractéristique de ce module.
En 78, l’or et l’argent reviennent à Rome. Au début du règne d’Hadrien, quelques monnaies sont frappées à Antioche. Mais pour la quasi totalité de la masse monétaire, c’est l’atelier de Rome qui alimente le monde méditerranéen en devises impériales (localement, les frappes provinciales assurent la petite monnaie, mais peu émettent de l’argent hormis Césarée de Cappadoce, Antioche et Alexandrie, mais le titre y est bas).
Les deniers de restitution : un exemple éloquent de la mémoire numismatique romaine
Sous Trajan, en 107, de vieux deniers républicains sont retirés de la circulation. On prétend qu’ils étaient trop usés et devenus illisibles.
On le remplace par des monnaies de restitution (RIC 765 à 795 pour les deniers), d’un moins bon aloi (l’état fait alors un bénéfice), mais qui montre que les Romains faisaient attention aux pièces qui passaient entre leurs mains. Parfois, seule la légende IMP CAES TRAIAN AVG GER DAC P P REST (imperator caesar Trajanus augustus germanicus dacicus pater patriae restituit) permet d’identifier ces deniers comme des restitutions trajaniques de deniers républicains.
On mesure ici à quel point il existait une mémoire numismatique romaine, quand trois siècles après des monnaies sont émises avec l’iconographie et le style d’une période antérieure.Des deniers de restitution figurent les Dioscures à cheval au revers, comme les plus anciens deniers de la fin du IIIè siècle. Et ce sont presque exclusivement des deniers qui sont les supports de ces restitutions (il existe aussi quelques aurei).
Ils font en effet le lien entre la République et l’Empire et disposaient de la noblesse nécessaire pour un hommage pareil. Trajan invente également quelques types : par exemple, il fait « restituer » un denier au nom de Coclès (RIC 768), un héros légendaire de -509 qui aura les honneurs d’un médaillon de bronze sous Antonin.
Masse et aloi : les débuts d’une baisse inéluctable
L’aloi des deniers avait été particulièrement élevé.
- Sous la République, il ne fléchit que dans les dernières émission d’Antoine (jusqu’à 92%),
- Sous les premiers siècles de l’Empire, l’aloi et la masse furent manipulés par l’état pour assurer ses finances. Néron réduisit la masse à 1/96e de livre (3,4g). Il baissa également l’aloi à 93%,
- Vespasien poursuivit cette réduction,
- Mais Domitien le rétablit à son niveau originel avant de le réduire à nouveau en 85,
- Trajan le fit chuter à 80% en 99-100,
- Hadrien réduisit sa masse à 3,10g,
- Sous Antonin, entre 155 et 157, il arrive 70%. La baisse se poursuivit et même s’accéléra.
- Sous Commode, vers 187-192, il pèse moins de 3g,
- Et en 195, au début du règne de Septime Sévère, il était à près de 50%.
Pertinax essaya de le faire remonter à 87%, tout comme Macrin vers 217-218. Mais les besoins de l’état étaient considérables et la manipulation de la monnaie inévitable.
Au IIIè siècle : le triomphe de l’argent décevant
Le siècle de la naissance et du triomphe de l’antoninien
C’est pour cela que Caracalla, en 215, émit une monnaie fiduciaire : l’antoninien, à l’avers radié, un double denier qui n’en pesait qu’un et demi. Dion Cassius (LXXVII, 14) le surnomme l‘ argent décevant (« κίβδηλον […] ἀργύριον« , « kibdelon argyrion »).
D’abord peu émis, il devint dans le IIIè siècle avançant la seule monnaie émise, ou peu s’en faut. Dès lors, le denier disparait progressivement. Les monnaies d’argent sont frappées radiées, avec un pouvoir libératoire deux fois plus important que si elles étaient laurées.
La rapide disparition du denier
Contenant de moins en moins d’argent, on identifie comme denier de petites monnaies laurées, contenant plus ou moins d’argent, ou argentées.
Michaux ne répertorie que 38 références de deniers pour Gordien III (238-244) (sur 794 entrées, dont 14 quinaires d’argent et 228 antoniniens).
On voit comme le denier y devient rare et s’efface devant l’antoninien.
Mairat, dans le RIC V.4, rappelle que pour l’Empire romain des Gaules (260-274), les monnaies d’argent laurées, souvent frappées avec des coins d’aureus, sont le plus souvent considérées comme des Abschläge.
Mais il rappelle également que de telles monnaies ont circulé, été thésaurisées, et ont donc été, à n’en pas douter, utilisées pour des deniers.
Le denier après 274 et la réforme d’Aurélien : monnaie physique ou monnaie de compte ?
Après la réforme monétaire d’Aurélien, vers 274, une petite monnaie laurée, sans doute un denier, serait taillée au 1/126e de livre (les 2/3 de l’aurelianus), soit environ 1,3g. Cependant, Callu rapporte une moyenne de 1,7g sous Probus, Carus et ses fils et la Dyarchie. Est-ce pour compenser un moindre taux d’argent que dans l’aurelianus que le denier est un peu plus lourd que le poids théorique ? On est, dans tous les cas, loin des 4 scrupules d’argent fin des débuts.
Cette réforme utilise aussi une monnaie laurée encore plus petite, appelée quinaire, taillée au 1/252e de la livre. Et pour Callu, la valeur relative de ces monnaies se ferait en « deniers de compte ».
L’aurelianus vaudrait 5 deniers de compte, soit 20 sesterces de compte (1/20, XXI, KA), le denier monnaie laurée vaudrait 2 deniers de compte ou 8 sesterces. Le quinaire vaudrait un denier de compte ou 4 sesterces.
On voit ici qu’apparaît une dichotomie entre le denier monnaie et le denier de compte.
En outre, comme le rapporte Bastien pour l’atelier de Lyon, ces deniers et quinaires sont a priori à mettre en lien avec des largesses impériales. Leur émission n’est pas ordinaire. Elle est liée au passage de l’empereur, à des élévations à l’augustat ou au césarat, à des decennalia ou des consulats. Sans doute pouvait-on ainsi distribuer par poignées ou jeter comme des confettis ces petites pièces. Le denier n’était plus une dénomination courante mais de plus en plus une unité de compte.
La fin du denier : denier monnaie et denier de compte
Le denier, une monnaie qui refuse de mourir
Des deniers de bon aloi du Haut-Empire continuaient cependant à circuler, jusqu’à une période avancée. On a trouvé des deniers du Ier et du IIème siècle dans le trésor de Beaurains, enfoui au début du IVè siècle. Mais quelle valeur donnait-on à des bonnes monnaies d’argent, loin des monnaies laurées émises alors ? Carausius tenta de frapper des monnaies en bon argent entre 286 et 293, qui ressemblent à des deniers du Haut-Empire.
Après 293 et la réforme de Dioclétien, l’argenteus est-il un denier ?
Il inspira, vers 293-294, Dioclétien, dans le cadre de sa réforme monétaire voyant la création du nummus, refrappe également une monnaie d’argent fin (env. 95 à 99%) au 1/96e de livre, sur la base de celle de Néron en 64.
Il semble que cette monnaie se soit appelée denarius argenteus, qui resta connue comme argenteus. En effet, le terme denarius lui-même était devenu un terme générique, comme nummus, pour désigner une monnaie.
On peut également se demander si les petits bronzes laurés émis sous la Tétrarchie ne sont pas des deniers. Peut-être ce module (très peu émis, et presque seulement à Siscia) correspondait-il au denier de compte. Mais la valeur de ces petits bronzes (env. 2g pour 20mm) reste mal connue.
L’argenteus, ce « nouveau denier » aurait valu 50 ou 100 deniers de compte. Le denier est à la fois une petite unité de compte et une pièce en circulation. Mais plus du tout avec la même valeur. L’argenteus, thésaurisé, disparut rapidement de la circulation. Et le IVè siècle vit le triomphe d’une économie appuyée sur l’or (le solidus) et avec des petits bronzes. Les monnaies d’argent (siliques, miliarenses) se firent rares, et elles furent construites sur un autre étalon que le denier, établies sur le poids du solidus (même poids en argent pour le miliarense, et la moitié pour la silique).
Le denier, un fait de culture qui a marqué jusqu’aux langues d’aujourd’hui
En tout cas, s’il disparut de la circulation monétaire, le denier resta présent dans la langue. Macrobe emploie encore le terme denarius pour désigner dans les Saturnales un as de la République.
Il se trouve encore en moyen-persan sassanide (denar), arabe (dinar du VIIè à aujourd’hui), espagnol (dinero), portugais (dinheiro)… Le Moyen-Âge français connut encore cette dénomination, et Charlemagne comme Saint-Louis émirent des deniers d’argent.
C’est ainsi que le français d’aujourd’hui en garde la trace, dans des expression idiomatiques, comme le denier du culte, les deniers de Judas, acheter sur ses propres deniers, ne pas avoir un denier, les deniers publics… Une monnaie créée il y a plus de 2200 ans, qui fut longtemps le pivot de l’économie méditerranéenne semble encore familière aux oreilles contemporaines, même les moins intéressées par la numismatique antique.
M.C.
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- Quadrigats, Bertolami Fine Arts, Auction 87, Lot 197
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- Maximien Hercule, petit bronze, Nomos, Obolos Web Auction 11, Lot 669
- Denier Charlemagne, Sincona, Auction 89, Lot 601
Encore un article très bien écrit et documenté 🙂