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Les lecteurs d’Astérix connaissent bien le sesterce. On nous rappelle qu’il faut cent sesterces pour faire un aureus (Le Devin, planche 18). Présenté comme ça, on dirait que le sesterce est le centième de l’aureus, l’équivalent de nos centimes. La situation est bien évidemment plus complexe. Cependant, il aura marqué les esprits puisqu’il fut une des principales monnaies de compte romaines et qu’il aura existé près de 500 ans, de -211 aux années +270 !
Sommaire
- Étymologie et origine d’une monnaie d’argent sous la République
- Renaissance sous Auguste
- Chefs-d’œuvre de la numismatique du Haut-Empire
- Disparition progressive au IIIè siècle
- Le cas du double sesterce
Étymologie et origine d’une monnaie d’argent sous la République
En -211 furent frappées les premières monnaies du système du denier.
Partant de l’as, unité de bronze, furent frappées des divisionnaires d’airain (semis, quadrans, triens…) et des multiples d’argent.
- Le denier valait 10 as (littéralement, « qui vaut dix »),
- Le quinaire la moitié, soit 5 as (littéralement « qui fait cinq »),
- Le sesterce le quart, soit 2,5 as.
Mais comment expliquer ce terme ?
Sestertius, c’est « un demi (se[mi]s) avant le troisième (tertius) as », soit 2,5 as.
Sur les monnaies, on trouve des marques de valeur en as :
- Sur le denier X,
- sur le quinaire V,
- sur le sesterce IIS (II as et un Semis), bientôt noté HS (parfois ligaturés).
Mais en -145, le denier passe à 16 as…
…Lire le passage compliqué !
Le sesterce, considéré comme un quart de denier, se met à valoir 4 as. Valeur qu’il conservera, même s’il continue d’être noté HS dans les manuscrits (chez Pline (XXXIV, 18) on trouve la somme de HS |CCCC| (40 millions de sesterces) pour le Mercure des Arvernes de Zénodore) et sur les inscriptions lapidaires (comme sur l’inscription bordelaise, où au premier siècle le préteur G. Iulius Secundus fait célébrer le don testamentaire de 2 millions de sesterces [ (HS) |XX| ] pour une adduction d’eau). On remarque à cette occasion qu’un nombre encadré de barre multiplie la somme par 100 000. CCCC (400) x 100 000 sesterces = 40 000 000 et XX (20) x 100 000 = 2 000 000.
Les premiers sesterces sont …
Frappés en argent et valant le quart d’un denier de près de 4 grammes, ils se rencontre sous la forme de très petites monnaies d’un scrupule, soit environ un gramme ! On est loin des grands modules grecs d’argent comme les cistophores.
Il reste vraiment rare, n’étant émis qu’à 26 reprises en -211 et -44, et jamais dans de très grands volumes. Seul le RRC 44/7 (le premier, illustré au dessus, émis, en -211) dépasse les 100 coins : 100 de droit et 125 de revers, soit la production courante d’un denier.
Dès la deuxième émission, après -211 (RRC 45/3), les sesterces sont frappés à moins d’une douzaine de coins.
Le dernier, en -44 (RRC 480/28) n’est même connu que par une seule paire de coins.
Leur iconographie est très variée bien que leur surface restreinte ait limité les possibilités. Portant à l’origine l’iconographie des monnaies d’argent (tête de Roma / Dioscures à cheval comme le RRC 45/3), on a pu trouver par la suite Mercure et une lyre ou une tortue, un casque corinthien et une chouette (RRC 445/6), une tête de bovin et autel, une olla et une tessère …
Cependant, dans les textes, on trouve souvent les sommes exprimées en sesterces. En particulier après -145 quand l’as fut dévalué. Il faut dire que les impôts devaient être payés en argent le sesterce était la plus petite dénomination, permettant d’exprimer une somme en une seule unité.
Néanmoins, le module est quasi absent de la circulation et ses très rares et peu abondantes émissions n’ont pas permis qu’autre chose que des as et des deniers circulent à la fin de la République.
Renaissance sous Auguste
En -23, Auguste, bien installé, s’emploie à une grande réforme monétaire.
En effet, depuis le début du Ier siècle av JC, bien peu de monnaies de bronzes avaient été émises et les Romains utilisaient de façon peu satisfaisante de vieilles monnaies usées et de masses inégales, ainsi que des deniers d’argent.
Le Prince entreprend donc la construction d’un système trimétallique avec des émissions d’or et d’argent frappées à Lyon, et la mise en circulation de nombreuses monnaies de bronze.
Pour cela, des as de cuivre sont frappés. Et pour ajouter des barreaux à l’échelle entre le denier et l’as, son seizième, il ressuscite le double as, le dupondius, qui n’était plus émis depuis plus de deux siècles. Et il fait du rare sesterce une monnaie de bronze, valant toujours quatre as soit le quart d’un denier. Et par conséquent il faut cent sesterces pour faire un aureus : Asterix avait raison.
Mais pour rendre visibles et impressionnantes ces nouvelles monnaies, valant plus que le cuivre mais moins que l’argent, et pour éviter de voir circuler des dupondii de 20g et des sesterces de 40g, il est décidé de frapper ces monnaies en orichalque.
Pour les valoriser, il permet aussi de payer ses impôts en bronze, afin que les usagers soient convaincus de la stabilité de la valeur du bronze, et en particulier du sesterce.
Orichalque : alliage cuivreux contenant du zinc, proche de notre laiton, d’une couleur jaune (d’où le nom d’orichalque, cuivre d’or).
Dans l’Antiquité, la valeur d’une monnaie est adossée à la valeur du métal qui la constitue. Le zinc coûte plus cher que le cuivre. La valeur du sesterce tient à sa masse de cuivre, d’étain, et de zinc.
Le sesterce passe alors de la plus petite monnaie d’argent (une dizaine de millimètres ; un gramme) à la plus grande monnaie de bronze (plus de trente millimètres ; plus de vingt grammes).
Dans sa politique de « sauvegarde de la République » et en tant que « premier entre ses semblables », il fait mine de confier la supervision des bronzes au Sénat. Les monnaies portent donc la marque S(enatus) C(onsulto).
Les premiers sesterces de l’atelier romain sont essentiellement épigraphiques, avec le SC en très grand et au centre.
Autour, le nom de magistrats monétaires et la mention des IIIVIR AAAFF (Triumvir Auro, Argento, Aere, Flando, Feriundo), dans une mise en avant d’institutions républicaines que le Prince prétend avoir rétablies. L’avers présente aussi Auguste comme le sauveur des citoyens (OB CIVIS SERVATOS).
On voit ici comment ce nouveau module, dans un nouvel alliage, se conjugue à un pseudo-rétablissement d’institutions anciennes, à l’image du Principat : du neuf qui doit ressembler à du vieux.
Par la suite, et hors de Rome, en particulier à Lyon et à Éphèse, la figure de l’empereur et son caractère sacré d’Auguste ne se cachent plus. On découvre ici des portraits de grande qualité sur des modules de grande dimension.
Chefs-d’œuvre de la numismatique du Haut-Empire
Les collectionneurs aiment les sesterces. Leur diamètre permet des compositions ambitieuses et leur frappe est souvent particulièrement soignée.
Sous les julio-claudiens, la sobre harmonie des compositions et le ductus soigné s’épanouissent sur les sesterces.
Sous Caligula et Néron, des scènes de composition complexe se développent comme de véritables narrations.
Sur ce sesterce, devant un temple hexastyle, Caligula se tient en toge et la tête voilée tourné vers un autel à gauche. Il procède à une libation tandis qu’un victimaire conduit un bovin au sacrifice.
De la même façon, sous les Flaviens, c’est sur des sesterces que l’on trouve les revers les plus connus et les mieux composés.
Mais c’est sous les Antonins que les sesterces sont les plus impressionnants : leur rotondité est presque parfaite, les bustes sont parfois spéciaux, les revers sobres mais gracieux et soignés.
Disparition progressive au IIIè siècle
Au IIIè siècle, durant ce qui est souvent appelé l’anarchie militaire, les sesterces voient leur poids s’alléger.
Sous Gordien III, entre 238 et 244, les sesterces pèsent encore souvent près de 20 grammes mais leur taux de zinc, qui faisait leur valeur et leur couleur, baisse continuellement.
D’une façon générale, les sesterces se font plus légers dès cette époque. Toujours sous Gordien III, quelques poids moyens tendent vers 15g.
Sous Philippe, la tendance s’accentue encore. Les flans sont moins soignés, avec davantage qu’avant des traces d’une possible découpe à la pince voire carrément quadrangulaires.
Mais surtout, dans le courant du IIIè siècle, les émissions de grands bronzes comme le sesterce se font plus rares et moins abondantes. L’archéologie montre qu’en Occident, ce sont les sesterces de l’époque antonine qui continuent de circuler.
En Orient, ce sont les monnayages provinciaux qui, alors en plein âge d’or, émettent les grands modules nécessaires à la circulation monétaire.
On connait les grands bronzes de Viminacium qui sont parfois même (mais à tort) appelés sesterces, de Gordien III à Aemilien.
Mais on en trouve dans les Balkans (Nicopolis, Odessus…) ou en Asie (Anazarbus, Metropolis, Side…)
Le cas du double sesterce
Le sesterce meurt de sa belle mort. Les monnaies de bronze disparaissent progressivement et les monnaies radiées censées être en argent s’imposent, avec l’or. Les bronzes, rares et légers, sont difficiles à distinguer. Comment reconnaître un sesterce léger d’un as moyen ? Comment distinguer un as léger d’un semis ? Certains s’appuient sur les diamètres…
Parfois, un empereur tente de rétablir de grands bronzes. Mais pour souligner l’effort, il espère le faire peser dans une économie inflationniste en doublant sa valeur.
C’est ainsi que naquirent les grands bronzes radiés de Trajan-Dèce vers 249-251, pesant plus de vingt grammes et parfois près de quarante.
Comme le moyen bronze radié (le dupondius) est un double as et la monnaie d’argent radiée, l’antoninien, un double denier, on ne peut les comprendre que comme des doubles-sesterces.
Postume, entre 260 et 269 s’en souviendra quand il fera de grands bronzes laurés dignes des sesterces du Haut-Empire.
Il ajouta rapidement, et parfois même après la frappe, une couronne radiée pour doubler leur valeur. Mais leur masse baissera vite et leur valeur ne fut plus que fiduciaire.
Le dernier empereur à frapper des grands bronzes fut Aurélien, entre 270 et 275.
Certains laurés (poids moyen moins de 8g), d’autre radiés (poids moyen au-dessus de 10g). Faut-il les voir comme les derniers sesterces et doubles sesterces ? On est loin, en tout cas, du scrupule d’argent ou du grand module d’orichalque d’époque antonine.
La Tétrarchie, en 294, tenta de rétablir de grands bronzes, mais au lieu de l’orichalque, on employa du cuivre argenté, ce sont les nummi. Le terme de sesterce disparut : les prix de l’édit du Maximum de Dioclétien sont exprimés en deniers. Mais en deniers de compte. Ce sera l’occasion d’un prochain post de la série « il était une fois… un module ».
Dans les nouvelles monnaies circulant on ne trouvera plus de grand module de bronze de plus de vingt grammes. Même si d’anciens sesterces circulèrent encore. Les grands modules de bronze ne furent plus alors que des médaillons.
Cependant, le sesterce avait marqué les esprits et il reste aujourd’hui un des modules les plus collectionnés et dont le nom est connu du grand public !
M.C.
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Origine des images
- Sesterce d’argent, RRC 44/7, Bibliothèque nationale de France
- Sesterce d’argent, RRC 480/28, Bibliothèque nationale de France
- Sesterce d’argent, RRC 472/4, Bibliothèque nationale de France
- Sesterce d’argent, Bovin & autel (RRC 455/4), Bibliothèque nationale de France
- Sesterce d’argent, olla et tessère (RRC 473/4), Bibliothèque nationale de France
- Auguste, sesterce, Numismatica Ars Classica, auction 94, lot 67
- Auguste, sesterce Ephèse, British Museum, 1865,0810.4
- Tibère, sesterce, British museum, 1842,0214.37
- Caligula, sesterce (revers), Berlin, Münzkabinet
- Vespasien, sesterce, Berlin, Münzkabinett
- Trajan, sesterce, Wien, Münzkabinett
- Gordien III, caesar, British Museum, 1872,0709.841
- Gordien III, sesterce avec SALVS, Stock Bnumis
- Philippe I, sesterce, Classical Numismatic Group, Electronic Auction 303, Lot 361
- Gordien III, Bronze de Viminacium, RPC on Line
- Odessus. Gordian III (238-244). Pentassarion, Numismatik Naumann, Auction 44, Lot 531
- Dece, grand bronze radié, double sesterce, Numismatica Ars Classica Nac Ag, Auction 97, Lot 222
- Postume, sesterce, Numismatica Ars Classica Nac Ag, Auction 98, Lot 1405
- Postume, double sesterce, Classical Numismatic Group, Inc., Electronic Auction 442, Lot 599
- Aurélien, Sesterce lauré, Wien, Münzkabinett (25)
- Aurélien, sesterce radié, Freiburg, Seminar für Alte Geschichte der Universität (28 mm)
Félicitations pour ces articles très intéressant et très bien documenté,je sens que je vais regarder mes romaines d’un autre regard
merci Cédric & Max
Philippe
Merci Philippe ! Ces retours nous motivent. En effet, nous écrivons surtout pour nous faire regarder nos monnaies chaque jour avec un œil différent.
Bonjour, merci pour ce superbe article sur les sesterces…
Superbe article, bravo et très instructif j’ai appris beaucoup de choses!!! Toujours un plaisir de vous lire bonne continuation
Bonjour,
j’ai dans ma collection un de ces sesterces probablement un RRC 44/7 mais je vous avoue ne pas avoir réussi à déterminer la différence entre le RRC 44/7 et les RRC 45/3 et RRC 480/28.
Le 480/28 n’a pas du tout la même icono (ni tête de Roma ni Dioscures à cheval). Quant à la différence entre 44/7 et 45/3, pas évident. La première peut avoir ROMA sur une tablette incuse. Mais pas toujours. Difficile à distinguer.
Bonjour.
Excellent, comme toujours, mais je me répète. Puis-je me permettre de te suggérer une édition de tes exposés. Ce serait, à coup sûr, l’ouvrage de référence pour les numismates en herbe, et même confirmés, un bouquin que les clubs se devraient de posséder en bibliothèque, et pour être déjà intervenu en fac d’histoire sur la frappe de la monnaie, je pense que les étudiants en Histoire romaine y trouveraient leur bonheur. Je dis cela, je ne dis rien. Peut-être y avais-tu songé ?
Amitiés.
Merci Christian. Nous y travaillons déjà depuis pas mal de temps 😉