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La glyptique nous a habitués à des jolies cornalines, des camées spectaculaires ou autres sceaux. Mais certaines pierres, souvent sombres ou contraire de couleurs très vives, et accompagnées d’inscriptions, s’avèrent mystérieuses dès qu’on s’intéresse à leur traduction.
Liées à des rituels magiques, voire religieux, ces pierres magiques sont le miroir des mutations de la pensée romaine du IIe au IVe siècle, au contact de religions différentes. Ces gemmes nous font apercevoir les superstitions, les peurs et les mystères de la fin de l’Antiquité.
Sommaire
- Présentation, technique, lieu de production
- Les fonctions des intailles magiques
- Un profond syncrétisme
Présentation, technique, lieu de production
La notion de pierres magique est une construction moderne. Les Anciens ne cloisonnaient pas : les images étaient polysémiques et voyageuses. Certaines dépassaient le cadre de la glyptique et les liens avec la numismatique sont nombreux.
Mais pour un Antique, une pierre est forcément dotée de propriétés et aucune ne peut être que purement décorative.
Porter une bague incrustée d’améthyste, par exemple, c’est se prémunir contre l’ébriété, même quand elle représente l’impératrice.
En outre, on ne peut pas exclure qu’une belle intaille à sujet mythologique ou représentant un dieu ait, aussi, une signification religieuse.
Néanmoins, certaines intailles, de formes, de taille (souvent plus grandes que les intailles ordinaires, jusqu’à 5 cm ! ), de type de pierre… diffèrent des classiques cornalines de 10 à 15mm gravées pour être intégrées à une bague.
Les pierres magiques portent en outre des symboles, et le plus souvent des inscriptions, visant à obtenir un effet particulier (médical ou apotropaïque le plus souvent). Le choix (sinon la gravure elle-même) de la pierre, de l’image, de l’inscription d’une formule étaient sans doute le fait d’un prêtre/mage particulier.
C’est ainsi sur de telles intailles que l’on voit apparaître des formules comme « ΑΒΛΑΝΑΘΑΝΑΛΒΑ » (« ablanathanalba« , palindrome qui se lit dans les deux sens et qui donnera notre abracadabra).
Des suites de voyelles grecques (Α (alpha, a) Ε (epsilon, é) Η (èta, è) Ι (iota, i) Ο (omicron, o) Υ (upsilon, u) W (oméga, ô) , dans l’ordre ou le désordre, ou encore démultipliées) sont aussi dotées de pouvoirs magiques.
On trouve aussi souvent des noms divins gnostiques (IAW [Iaô], ΑΒΡΑϹΑΞ [Abrasax], ϹΑΒΑΟΘ [Sabaoth]…), ou des symboles incompréhensibles, qu’on appelle, faute de mieux, charakteres.
De telles intailles, souvent qualifiées de « gemmes magiques », sont des témoignages d’une certaine pratique religieuse, de croyances, qui se développent dans le monde romain, en particulier du IIe au IVe siècle, avec une importance de cultes mystiques, orientaux et égyptiens, et même le développement d’une pensée ésotérique qui mélange judaïsme, christianisme et magie (le gnosticisme).
Diffusées dans tout le monde romain, ces pierres magique sont essentiellement produites en Orient (Proche-Orient et Égypte, mais aucun atelier n’a encore été identifié). Elles mettent en œuvre l’hématite, le lapis-lazuli, les jaspes (sanguin, jaune…). Les ateliers occidentaux travaillent davantage la cornaline (plus du tiers des intailles romaines), l’agate, le niccolo.
Les fonctions des pierres magiques
Ce qui distingue ces intailles dans la glyptique romaine, c’est leur fonction, qu’on peut, avec notre regard du XXIè siècle, organiser autour de deux usages : soigner les corps et protéger de forces supérieures. Même s’il est parfois difficile de distinguer les deux. La pierre a son importance : on rapporte qu’Apollonios de Tyane avait sept bagues, de sept pierres différentes, associées aux sept planètes et portées chacun des sept jours de la semaine.
Comment ces intailles étaient-elles utilisées dans l’Antiquité ? Étaient-elles montées en bijoux ?
Les bélières qu’on rencontre parfois semblent la plupart du temps modernes et les pierres sont souvent de dimensions bien supérieures aux gemmes habituellement montées.
Néanmoins, quelques exemplaires ont encore un montage antique qui laisserait penser qu’elles étaient parfois portées en bijoux.
On pense également que certaines intailles étaient grattées pour produire une poudre qui était peut-être utilisée de façon rituelle, voire consommée. Beaucoup d’intailles au moissonneur (voir plus bas) semblent ainsi rognées.
Les intailles médicales
On pouvait utiliser ces pierres magiques pour de nombreux usages.
Ces intailles pouvaient faciliter le transit intestinal et la digestion comme le revers dit ΠΕ/ΠΤ/Ε, « pepté » , c’est-à-dire « digère! » ou le revers dit ϹΤ/ΟΜ/ΑΧ/ΟΥ, « stomachou« , « de l’estomac ».
Une intaille sur laquelle est gravé Hercule étouffant le lion de Némée protègerait de la colique (à condition que soit inscrit KKK).
Toute une série d’intailles prennent une forme allongée, en fuseau, et sont en hématite, la pierre de sang.On pense que ces intailles servaient à stopper les hémorragies et pouvaient, à cette fin, être introduites, par exemple, dans le nez. D’où leur forme.
De nombreuses intailles représentent une forme globulaire avec deux fils qui en partent et une clé. Il s’agit de matrices, d’utérus (le globule) avec ses trompes (les fils) que vient fermer une clé. Ces intailles doivent permettre de fermer la matrice (pour garder un bébé, espoir de fertilité) ou de l’ouvrir (pour s’en débarrasser) à volonté.
Omphale pénétrée par un âne pouvait avoir la même fonction, avec l’inscription au dos CTAΘHT/IMHTPA (=ϲταθητι μητρα, « stathèti mètra« , « matrice, reste en place »).
Un groupe d’intailles en hématite montre un moissonneur à la faucille, souvent accompagné de l’inscription [Ι]ϹΧΙWΝ (=ιϲχιων, « iskiôn« , « des hanches ») pour prémunir ou guérir des maux de hanche, causés en particulier par la moisson.
D’autres inscriptions, EPΓAZO/MEKEOY/ΠONW (=εργαξομ(αι) κ(αι) ου πονω, « ergazomai kai ponô », « je travaille et je ne souffre pas ») montrent que ces intailles permettent de bannir la souffrance au travail.
Les pierres magiques gravées d’un crabe étaient censées protéger du venin des scorpions et autres animaux venimeux.
Les lézards quant à eux soignaient les yeux, surtout avec l’inscription ΚΑΝΘΕ/ϹΟΥΛΕ (= κανθοϲ ουλε, « kanthos oulé », « coin de l’œil, santé à toi ! »).
Une intaille de la BnF, en lapis-lazuli, représentant Isis-Aphrodite, porte d’ailleurs au dos le mot IATPOY (iatrou, « du médecin » ).
D’autres formules pourraient être médicales comme apotropaïques, avec l’inscription ΠAY/ϹON (παυϲον, « pausson » « fais cesser ») et pourraient combattre l’épilepsie comme un mauvais sort. Mais pour les antiques, c’est la même chose.
Les intailles qui conjurent le mauvais sort (apotropaïques)
Un aigle ou un scarabée gravé sur une émeraude protègerait de la grêle et des sauterelles. Persée avec la tête de Méduse et la harpè protègent de la foudre et des infortunes.
Des inscriptions comme ΠΑΥϹΕ (= παυϲον, « fais cesser [le mal] »), ΔΙΑ/ΦΥΛΑ/ΞΟΝϹ/WϹΟ/Ν (διαφυλαξον ϲωϲον, « diaphylaxon sôson« , « Garde et sauve ») montrent que l’intaille était sans doute une amulette.
Des intailles montrent Éros brûlant Psyché, en écho à un rituel de magie amoureuse appelé le « Glaive de Dardanos ».
Une pierre à l’iconographie chrétienne montre un personnage tenant une croix (Jésus ?) et le dos porte l’inscription ϹWΤΗΡΒΟ/ΗΘΙΤΦΟΡΟΥ/ϹΗ (= Ϲωτηρ, βοηθι τη φορουϲη, « sotèr, boèthi tè phorousè« , « Sauveur, aide celle qui porte [cette amulette] ») (Mastrocinque 538)
Pierres magiques : un profond syncrétisme
La religion romaine s’est toujours caractérisée par un grand syncrétisme : toutes les croyances des cultures voisines étaient incluses, fusionnées, intégrées aux pratiques latines. On ne sait jamais : un nouveau dieu peut toujours aider. Les pierres magiques intègrent une immense variété de divinités.
Les références gréco-romaines
On trouve évidemment des dieux classiques de la religion romaine. De nombreuses intailles figurent des épisodes mythologiques. Mais seules des inscriptions de formules permettent de savoir si elle est plutôt ornementale ou magique.
On rencontre Aphrodite / Venus, avec des inscriptions, et un crabe au dos. L’inscription incompréhensible autour de Venus et celle de ΙΑW (Iaô) autour du crabe permettent de la classer comme une gemme magique. Elle peut être, comme Mars sur des pierres rouges, des références planétaires et astrologiques.
Asclepios, évidemment, est convoqué, mais pas sans lien avec les intailles médicales. Il est, sans surprise, souvent associé à Salus / Hygie.
Dionysos peut être figuré, en particulier sur des améthystes. Il s’agit de se prémunir contre l’ivresse.
La triple Hécate, déesse sorcière, lunaire, est évidemment présente sur des intailles magiques.
Hélios, devenu dieu de premier plan au IIIe siècle dans un quasi-hénothéisme [polythéisme qui ressemble à un monothéisme car il considère qu’un dieu est au-dessus des autres qui tirent son pouvoir de lui] , figure en bonne place parmi ces gemmes.
Hermès, en particulier Trismégiste, est un dieu du mysticisme « hermétique » de l’époque, et se trouve accompagné de voyelles magiques.
Les références égyptiennes
Mais ces pierres magiques étant sans doute gravées en Orient, dans cette culture « hermétique « , l’influence égyptienne se fait très fortement sentir. Surtout en cette époque de quête de salut du IIIe siècle. Aussi trouve-t-on beaucoup de divinités égyptiennes sur les intailles magiques, mais souvent dans leur version grecque.
On rencontre ainsi Harpocrate, forme hellénistique de Horus, dans laquelle la pensée religieuse de l’époque voyait le fils du dieu suprême (comme Dionysos, Mithra ou Jésus) et que la Gnose nommait Ialdabaôth (« jeune homme », « enfant » ou « fils »).
On le montre souvent sur un lotus, l’index à la bouche, geste enfantin, mais aussi signe du silence rituel sur sa naissance secrète.
On trouve évidemment Osiris, roi des dieux et dieu des morts.
Il est figuré en momie, accompagné de symboles mystiques, comme le scarabée solaire et l’ouroboros (serpent qui se mord la queue, symbole d’éternité).
Sérapis, grand dieu de la religion égyptienne hellénisée, fusion d’Osiris, d’Apis et de Zeus, est présent sur de nombreuses intailles. Pas toutes magiques, d’ailleurs.
Mais quand il s’accompagne de symboles (ouroboros, crocodile, scorpion, caducée, ibis, scorpion, scarabée… excusez du peu!) et de formules comme les voyelles (7 A, 6 E, 5 H, 4 I, 3 O, 2 Y et 1 W superposés), la gemme est nécessairement dotée d’une forte puissance surnaturelle.
Quand on le croise sur des objets religieux comme les mains panthées, on réalise l’importance de Sérapis dans la pensée religieuse peu de temps avant le triomphe du christianisme.
Isis aussi peut se trouver sur un crocodile. Ici accompagnée de l’inscription ΠΑΝΤΑΝΕΙΚΑΟϹΑΡΑΠΙϹ (=παντα νεικα ο Ϲαραπιϲ, « panta n(e)ika o Sarapis », « ô Sérapis, vainc tout! ») qui montre que les dieux égyptiens sont à prendre comme un ensemble. Des inscriptions nomment également d’ailleurs des divinités judaïsantes sur des intailles de Sérapis (Iaô, Salomon, Sabaoth…).
Mais les dieux les plus présents sont sans doute des dieux-serpents.
Il y a Agathodaimon, le dieu du destin, figuré en serpent depuis l’époque hellénistique.Il a parfois une tête humaine qui est parfois celle de Sérapis, barbu et coiffé d’un kalathos.
Des théologiens de l’époque impériale l’ont identifié à un dieu solaire suprême.
L’autre dieu-serpent, encore plus fréquent dans ce cadre magique, est Chnoubis. Souvent gravé sur des pierres vertes comme le prase, il a une tête de lion radiée. Il reprend le nom du dieu potier créateur à tête de bélier (Chnoum). Il n’est pas sans faire penser à Glykon, serpent à face humaine du monde grec oriental du IIIè siècle.
Chnoubis, ici, est censé favoriser la crue du Nil qui démarre avec le signe du Lion : on l’a donc représenté léontocéphale.
Son image protègerait des maux d’estomac. Hermès Trismégiste parle aussi du cœur.
Dieu des crues, il doit aussi permettre aux femmes d’allaiter. Il serait également le bâton-serpent de Moïse, ou le serpent du Jardin d’Eden.
Sur les intailles magiques, le signe de Chnoubis ressemble à SSS, que les Grecs ont transcrit comme ϜϜϜ (3 digammas) ce qui peut se lire comme le nombre 666. C’est de là que vient le « nombre de la Bête » de l’Apocalypse de Saint Jean.
De nombreux autres dieux (Thot ibis, Thot babouin, Anubis, Seth, Atoum, Apis, Min…) se trouvent sur des intailles magiques. Aussi pense-t-on que certaines ont pu être produites en Égypte. Mais pas nécessairement : les cultes égyptiens s’étaient largement exportés.
Cultes à Mystères (ou cultes mystérieux ?)
Des intailles magico-religieuses présentent des inscriptions et des images qui montrent leur appartenance à des rites secrets (donc nécessairement mal connus et mal compris) qui se développent du IIeau IVe siècle, initiatiques et eschatologiques.
Il y a d’abord, évidemment, le culte de Mithra, d’origine iranienne mais assez bien documenté pour le monde romain, avec de nombreux mithreums, et des images.
Sur des intailles (surtout des pierres translucides et incolores), on retrouve, dans une grotte, Mithra vêtu à l’iranienne sacrifiant le Taureau, sous le regard du Soleil et de la Lune, en présence du corbeau, du serpent, du chien, en présence d’un dadophore vêtu à l’orientale.
Ces images, censées être secrètes et révélées aux initiés, montrent que ces intailles ne sont pas des bijoux qu’on exhibe.
D’autres références religieuses sont difficiles à comprendre. Mastrocinque les classe comme des figures Némésis-Séléné-Léda, parfois accompagnée des Dioscures. Mais il rapproche ces intailles, à juste titre, des plaques de plomb aux Cavaliers Danubiens. Peut-être cette iconographie se réfère-t-elle aux mystères de Samothrace ou au culte des Cabires ? Peut-être concerne-t-elle des dieux plus spécifiquement danubiens et étrangers à la mythologie gréco-romaine ?
On y voit une figure féminine au centre, encadrée par deux cavaliers qui piétinent des corps, entourés d’étoiles, d’un oiseau, du Soleil et de la Lune, d’un coq, d’un lion, d’un poisson…
Ces détails, obscurs, sont les mêmes que sur les tablettes de plomb, parfois qualifiées de thraco-mithriaques, même si on ne voit plus aujourd’hui de lien avec Mithra.
Une autre intaille apporte des variations à ce schéma.
Les chevaux y ont des bois (des cervidés ?), on y trouve un personnage habillé en soldat mais à tête animale, comme sur les tablettes de plomb.
C’est, à ma connaissance, la seule portant une inscription qui pourrait nous éclairer : IAW (Iaô), un nom qu’on retrouve sur les intailles gnostiques.
Judaïsme, christianisme et gnosticisme
On appelle « gnosticisme » (du grec γνῶσις, gnôsis, « la connaissance ») des courants religieux du IIè au IVè siècles qui ont puisé dans les traditions juives, orientales, païennes et proposé une lecture mystique du monde.
Selon les gnostiques, le dieu créateur, Ialdabaôth (l’équivalent de Yahvé, noté parfois IAW (Iaô) et proche de tétragramme YHWH ) est foncièrement mauvais. Il existerait un dieu bon extérieur au monde, qu’il serait possible de rejoindre après sa mort. Mais les intailles magiques permettraient de se prémunir contre le Démiurge maléfique.
On trouve, dans ce contexte gnostique, de nombreuses pierres à l’anguipède allectrocéphale (figure anthropomorphe à tête de coq et aux jambes de serpent).
Il est cuirassé, armé d’un fouet d’un bouclier souvent inscrit IAW (ou parfois dans le champ), nom de dieu, dont la Genèse dit qu’il est le « bouclier d’Adam ». D’aucuns y ont vu une représentation du dieu des Samaritains, moqués pour « vénérer une poule ». Il semble être un seigneur de la nuit et des ténèbres. Appelle-t-on sa protection ? Veut-on se prémunir contre lui ?
Ces intailles sont souvent en pierres sombres, en particulier le jaspe sanguin, et on trouve le nom d’ΑΒΡΑϹΑΞ (Abrasax, parfois lu Abraxas en boustrophédon hébreu) On a régulièrement au revers des noms d’archanges Michael, Gabriel, Uriel, et de l’épiclèse divine Sabaoth (« seigneur des armées »).
D’autres intailles présentent un homme à tête de lion (dieu léontocéphale), en lien avec des textes gnostiques, accompagné de nombreux théonymes du judaïsme comme pour Abrasax. On peut penser que ses origines remontent à la colonie juive de Léontopolis (la ville du lion), où un temple juif fut construit sur une temple de Bastet / Sekhmet, déesse chatte/lionne.
D’une façon plus canonique, on trouve des intailles d’un judaïsme plus orthodoxe.
Il existe ainsi une série de gemmes en hématite, où on voit un cavalier frapper de sa lance un personnage à terre (un démon), accompagné de l’inscription ϹΟΛΟΜWΝ (Solomôn / Salomon).
Les dos sont inscrits ϹΦΡΑΓΙϹ ΘΕΟΥ (sphragis théou, sceau de Dieu). Ils appartiennent à la tradition de magie juive, dans laquelle le roi Salomon a soumis les démons grâce à un sceau à cette image (qui n’est cependant pas sans rappeler une iconographie royale hellénistique et impériale romaine. On les appelle « sceau de Salomon ».
La pratique des intailles magico-religieuses n’a pas disparu avec le triomphe du christianisme. Les usages étaient profondément inscrits. On trouve des gemmes invoquant des saints ou d’autres directement Dieu ou Jésus.
Celle-ci, aniconique, porte une longue inscription grecque qui dit : « Jésus, ô Abrasax […] sauve-moi de la maladie sacrée, de tout Satanas ; ange ; au nom de toute divinité éternelle, sauve-moi de toute apparition, moi qui porte [cette gemme], sauve-moi du démon, très haut immortel Dieu éternel et Pouvoir. » On notera que même Jésus se voit accoler cet Abrasax décidément omniprésent sur les intailles magiques.
Qu’elle soit chrétienne, juive, gnostique, égyptienne, orientale, gréco-romaine… l’utilisation des intailles magico-religieuses sera combattue par l’Église dès qu’elle en aura les moyens.
Mais une pratique si profondément ancrée ne disparut pas du jour au lendemain. Aujourd’hui encore, de nombreuses croyances ésotériques attribuent un pouvoir aux pierres, ou à certaines images.
Quelle différence entre l’omniprésence des trèfles à quatre feuilles à Las Vegas et une intaille invoquant Tyché pour la chance ? Quelle différence entre la lithothérapie contemporaine recommandant l’hématite pour purifier le sang, et les gemmes antiques dans ce même minéral censées stopper les hémorragies ?
Les pierres ont toujours fasciné par leur impression d’éternité. Et ce n’est pas sans raison si Jésus a dit à son discipline Simon (Matthieu, XVI, 18-19) qu’il le renommerait Kephas (« pierre » en araméen), traduit comme Πέτρος (Petros), de πέτρα (la pierre) afin de bâtir sur lui son Église, afin « que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle« . Il n’y a pas loin de Saint Pierre à la sainte pierre.
M.C.
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Orientations bibliographiques :
- A. MASTROCINQUE, Les intailles magiques du département des Monnaies, Médailles et Antiques, Paris, 2014
- H. GUIRAUD, Intailles et camées romains, Paris, 1996
- H. GUIRAUD, Intailles et camées de l’époque romaine en Gaule, 48e supplément à Gallia, Paris, 1988
- H. GUIRAUD, Intailles et camées de l’époque romaine en Gaule, 48e supplément à Gallia (vol. II), Paris, 2008
- « Glyptique romaine » p11 à 222, in PALLAS, revue d’études antiques, 83/2010
- C. ENTWISTLE et N. ADAMS (dir.), Gems of Heaven, recent research on engraved gemstones in Late Antiquity, ca.AD 200-600, Londres, 2011
Origine des images :
Sauf contre-indication, toutes les images sont issues du catalogue en ligne de la BNF
- bague à chaton, « Julia Domna » , BNF, de Clercq.3190
- Dodécaèdre, « Personnages et animaux » (reg.M.6118)
- intaille, « Hélios-Harpocrate » (AA.Seyrig.29)
- intaille, « Éros et Psyché » (de Clercq.3108)
- intaille, « Arès » (Schlumberger.354)
- intaille, « Sérapis face à Anubis » (Luynes.164)
- intaille, « Dieu polymorphe » (Froehner.2889)
- intaille, « Dieu à têtes de lion et de coq » (inv.58.2220ter)
- intaille ; chaton de bague, « Entretien avec la tête coupée. » (Chandon.37)
- intaille, « Vénus » (inv.58.1573a)
- Bague Abraxas, le Louvre, Numéro catalogue : Bj 1290
- intaille, « Phénix entouré d’animaux » (AA.Seyrig.35)
- intaille, « Héraclès et le lion de Némée » (inv.58.2220bis)
- intaille, « Groupes de divinités » (AA.Seyrig.118)
- intaille, « Moissonneur » (Froehner.2882)
- intaille, « Crabe » (Blanchet.43)
- intaille, « Lézard » (AA.Seyrig.114)
- intaille, « Isis-Aphrodite » (Froehner.2866)
- intaille, « Chèvre » (AA.Seyrig.116)
- intaille, « Scarabée » (Blanchet.17)
- bague à intaille, « Persée tenant la tête de Méduse » (inv.58.1790ter)
- intaille, « Eros et Psychè » (Froehner.2879)
- intaille, « Aphrodite » (Schlumberger.366)
- intaille, « Arès / Sabaôth (Cronos) » (Froehner.2872)
- intaille, « Asclépios et Hygie » (reg.N.4116)
- intaille, « Dionysos » (Blanchet.41)
- intaille, « Hécate » (Froehner.2892)
- intaille, « Hélios sur son quadrige » (Seyrig.1973.1.525.26)
- intaille, « Harpocrate » (Blanchet.32)
- intaille, « Momie d’Osiris » (AA.Seyrig.23)
- intaille, « Sérapis » (inv.58.2203)
- intaille, « Isis tenant le sistre et une situle » (inv.58.2028)
- intaille, « Agathos Daimôn » (reg.Y.21587.7)
- intaille, « Chnoubis » (inv.58.2190bis)
- bague à intaille, « Mithra sacrifiant le taureau » (inv.58.2031)
- bague à intaille, « Némésis-Séléné-Léda » (reg.M.5992)
- intaille, « Dioscures et autres divinités » (AA.Seyrig.93)
- intaille, « Coq anguipède » (Froehner.2964)
- intaille, « Dieu léontocéphale » (inv.58.2168)
- « intaille magique chrétienne » (AA.Seyrig.59)