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PRATIQUER > GLYPTIQUE
Au-delà de leurs noms en « -tique », ces deux domaines artistiques, glyptique et numismatique, entretiennent, malgré leurs objectifs très différents, des rapports techniques et formels.
COMPARAISON TECHNIQUE
En effet, d’abord, ces arts sont tous deux des arts de la gravure. La glyptique, art de gravure des pierres ou verre l’imitant, recouvre les intailles, gravées en creux, et les camées, gravés de façon à faire apparaître le motif en relief.
La numismatique, quant à elle, concerne évidemment les monnaies, tirages en positif d’un coin ou d’un moule en négatif. Le plus souvent frappée, une monnaie s’obtient à partir de coins métalliques qui, eux, sont gravés : l’auteur est un scalptor – therme utilisé uniquement pour l’antiquité – , qui obtient son motif en creux (ou en relief pour les monnaies incuses d’Italie du Sud).
Cette gravure se déploie en petite dimension, et les artistes rivalisent souvent de finesse au point qu’on se demande comment ces objets ont pu être fabriqué durant l’antiquité !
Si de grands camées impériaux peuvent atteindre plusieurs dizaines de centimètres (31cm pour le Grand Camée de France, fig. 1), les petites intailles de cornaline (ex, monté en bague), les plus courantes, font la plupart du temps une quinzaine de millimètres et les grandes intailles magiques font autour de 30/35mm.
Les monnaies, pour leur part, tournent souvent entre 18mm (pour des deniers ou des petits bronzes du IVè siècle) et 30/35mm (pour les sesterces ou les asses républicains), même si des pièces exceptionnelles comme des multiples ou des médaillons peuvent être encore plus grands.
Les dimensions moyennes sont donc tout à fait comparables.
D’ailleurs, une grande part des gemmes qui nous sont parvenues ont été découvertes dans des trésors monétaires : ces objets devaient être thésaurisés avec les monnaies (Guiraud, 1988).
On pourrait aussi penser que les monnaies sont des multiples (plusieurs milliers issues des mêmes coins) quand les intailles sont uniques. Mais elles sont aussi, à la manière de coins, à l’origine de tirages (en cire ou en argile) en positif quand on les emploie comme sceau.
LES PORTRAITS
On peut rapprocher des plus beaux portraits numismatiques un certain nombre de pierres gravées et on peut penser qu’ils émanent des mêmes modèles de la maison impériale.
D’ailleurs, il semblerait que des intailles aient été distribuées aux soldats lors de donativa, en particulier pour Brutus, Marc-Antoine et Octave, avec des portraits, des thèmes personnels (EID MAR pour Brutus, Apollon Actien et l’anneau de César pour Octave…) (cf. Laignoux, in « De l’or pour les braves !, 2014). On peut donc penser que des ateliers glyptiques accompagnaient parfois les ateliers monétaires itinérants.
Néanmoins, c’est dans le luxe des grandes villes que se déploie le mieux la glyptique, et des œuvres hors du commun ont pu voir le jour, détaché des contraintes de la monnaie, et offrir des œuvres comme la famille Sévère au complet ou l’Auguste de face (illustré au dessus, qui n’est pas sans rappeler ces monnaies avec cet angle de vue assez rare dans l’absolu).
Il est dommage que numismates et glypticiens n’aient pas davantage échangé : c’est certain qu’ils auraient beaucoup à s’apprendre et certaines intailles décrites comme « empereur » pourraient être identifiées.
DES THEMES ICONOGRAPHIQUES COMMUNS
Un numismate feuilletant des catalogues de glyptique ne peut pas s’empêcher de reconnaître certains schémas iconographiques, qui faisaient partie de la culture visuelle de leur époque.
Ainsi, des animaux plus ou moins mythologiques se trouvent figurés de façon comparable sur des intailles et des monnaies : la Louve de Romulus et Rémus (fig. 2), le capricorne (fig. 3), l’aigle au foudre (fig. 4), le taureau Apis (fig. 5) ou encore le lion au foudre (fig. 6).
Certaines scènes mythologiques (Hercule étouffant le Lion de Némée – fig. 7) ou d’histoire romaine mythique (Faustulus découvrant la Louve et les Jumeaux – fig. 8 – ou Enée fuyant Troie avec Ascagne, Anchise et le palladium fig. 9 ) sont d’une grande parenté de composition sur pierre et sur métal.
Certains types numismatiques semblent repris en glyptique : Mars Victor portant un trophée (fig. 10), Venus Victrix tenant un casque (fig. 11), Sol debout tenant un globe (fig. 12) ou dans son char vu de face, Asclepios (fig. 13), Neptune le pied sur une proue (fig. 14), Fortuna avec corne d’abondance et gouvernail, ou la Victoire écrivant sur un bouclier, assise (fig. 15) ou debout montrant ses fesses (fig. 16).
Des divinités poliades se trouvent aussi sur les monnaies comme sur les pierres : Rome assise, évidemment (fig. 19) mais aussi la Tyché d’Antioche avec l’Oronte à ses pieds (fig. 20)
D’autres images, enfin, éveillent forcément un écho chez le numismate : la dextrarum junctio (fig. 21) ou Néron se prenant pour Apollon. (fig. 22).
MAIS LA GLYPTIQUE DEPASSE AUSSI LARGEMENT CETTE ICONOGRAPHIE
Par leur nature (objet unique, fabriqué pour un client, qui peut choisir aussi son image, mais aussi objet privé et de luxe), les intailles et les camées ont des possibilités que n’ont pas les monnaies.
On trouve ainsi de nombreuses scènes buccoliques, bacchiques ou sacro-idylliques – fig. 23 -, avec souvent même la présence d’un décor paysager, des scènes amoureuses (avec des Amours fig. 24 ) ou sexuelles, des gemmes philosophiques (memento mori au squelette – fig 25 – ou même représentation de philosophes comme Diogène dans son dolium – fig. 26 -).
Les motifs peuvent être plus près de la vie quotidienne, comme ces intailles figurant une course de chars (fig. 27), un gladiateur (fig. 28), ou des comédiens en coulisses (fig. 29).
On a aussi des scènes mythologiques beaucoup plus narratives que sur les monnaies, comme Léandre se noyant pour rejoindre Héro (fig. 30), Vulcain forgeant des armes (pour Achille ou Enée – fig. 31), Oedipe répondant à la question de la Sphynge (fig. 32) Achille traînant le corps d’Hector autour de Troie (fig. 33).
Enfin, des croyances antiques faisaient des pierres et des images des supports à la magie et à la médecine. On trouve alors des gemmes médicales – comme ici l’uterus que l’on veut fermer ou ouvrir avec une clé (fig. 34) – ou magico-religieuses (l’anguipède alectrocéphale – fig. 35 – le dieu léontocéphale – fig. 36 – , les inscriptions de formules magiques comme Ablanathanalba, les noms des archanges du judaïsme, du nom IAW, forme héllenisée de Yahvé/Jehova, dans un joyeux syncrétisme gnostique.
Certaines de ces intailles, par leur iconographie, appartiennent au même contexte que les plaquettes danubiennes en plomb aux cavaliers. (fig. 37)
TECHNIQUES DE GRAVURE
On peut peut-être apprendre sur les techniques de gravure des coins monétaires par l’étude des techniques glyptiques. En effet, si les sources antiques sont peu dissertes sur la technique monétaire et les coins authentiques peu nombreux, on en sait plus sur les pierres.
Théophraste (Sur les Pierres) à la fin du IVè av JC et Pline l’Ancien (Histoire Naturelle, XXXVII) au Ier siècle, ainsi que l’étude des intailles elles-mêmes, nous laissent comprendre les grandes lignes. Les pierres sont taillées par abrasion. Une tige (ou « broche ») en fer recuit ou en cuivre use et creuse la surface par une rapide rotation entrainant une poudre abrasive (pierre de Naxos, grès voire poudre de diamant). Le mouvement était obtenu par un archet (stèle du graveur Doros de Sardes) ou une drille à pompe (fig. 38).
Le travail était très long et se terminait pas un polissage qui faisait disparaître les traces de gravure pour un rendu plus « naturel », avec des broches douces, de plomb, d’étain, voire de buis, avec un abrasif doux. Des auteurs ont avancé une durée de 5 ans pour la réalisation du grand camée de Vienne, la Gemma Augustea.
Des lentilles convexes en cristal de roche auraient pu être utilisées comme loupe, mais essentiellement pour contrôler le fini. Des globes de verre remplis d’eau pourraient avoir eu la même fonction.
Autant de procédés qui pourraient aussi avoir été utilisés dans les ateliers monétaires.
Voilà comme on glisse d’une collection à une autre.
En plus, il y en a de plein de couleurs.
M.C.
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Orientations bibliographiques :
- GUIRAUD Hélène, Intailles et camées de l’époque romaine en Gaule, Paris, 1988
- GUIRAUD Hélène, Intailles et camées romains, Paris, 1996
- GUIRAUD Hélène, Intailles et camées de l’époque romaine en Gaule, vol. II, Paris, 2008
- GUIRAUD Hélène (dir.), Glyptique romaine, Toulouse, 2010
- MASTROCINQUE Attilo, Les Intailles magiques du département des Monnaies Médailles et Antiques, Paris, 2014
Tous ces ouvrages sont disponibles sur commande via ma boutique en m’envoyant un e-mail !
Toutes les intailles et tous les camées de ce post appartiennent aux collections du Cabinet des Monnaies Médailles et Antiques de la Bibliothèque Nationale de France, et on peut les retrouver sur le catalogue en ligne
Origine des images pour les monnaies :
- Fig. 2 : Nac Ag, Auction 105, Lot 23
- fig 3 : Jean Elsen & Ses Fils S.a., Auction 116, Lot 369
- fig 4 : Jean Elsen & Ses Fils S.a., Auction 143, Lot 350
- fig. 5 :classical Numismatic Group, Inc., Triton Xxi, Lot 121
- fig. 6 : Numismatica Ars Classica Nac Ag, Auction 54, Lot 499
- fig. 7 : Olivier Goujon Numismatique, Mail Bid Sale 3, Lot 21
- fig. 8 : Roma Numismatics Limited, E-sale 69, Lot 763
- fig. 9 : Jean Elsen & Ses Fils S.a., Auction 135, Lot 159
- fig. 10 : Monnaies D’antan, Auction 21, Lot 500
- fig. 11 : Spink, Auction 19004, Lot 264
- fig. 12 : Agora Auctions, Sale 101, Lot 605
- fig. 13 : Classical Numismatic Group, Inc., Triton X, Lot 677
- fig. 14 : Numismatica Ars Classica Nac Ag, Auction 102, Lot 513
- fig. 15 : Numismatica Ars Classica Nac Ag, Auction 38, Lot 234
- fig. 16 : Numismatica Ars Classica Nac Ag, Auction 74, Lot 305
Article de blog rédigé par Prof Cambreling
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Bravo à vous deux !
J’aime bien ces gemmes également. 🙂
Synthétique et abordable à tous. J’adore !
Merci !
Merci !
C’est pas pour critiquer, mais l’iconographie des monnaies provinciales est beaucoup plus riche celle des monnaies impériales, et on trouve, en particulier chez Gallien, des scènes mythologiques narratives ou des scènes de gladiature.
et donc ?