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L’art au creux de la main – glyptique et Numismatique

    Glyptique

    Temps de lecture : 10 mn


    PRATIQUER > GLYPTIQUE

    Au-delà de leurs noms en « -tique », ces deux domaines artistiques, glyptique et numismatique, entretiennent, malgré leurs objectifs très différents, des rapports techniques et formels.

    COMPARAISON TECHNIQUE

    En effet, d’abord, ces arts sont tous deux des arts de la gravure. La glyptique, art de gravure des pierres ou verre l’imitant, recouvre les intailles, gravées en creux, et les camées, gravés de façon à faire apparaître le motif en relief.

    La numismatique, quant à elle, concerne évidemment les monnaies, tirages en positif d’un coin ou d’un moule en négatif. Le plus souvent frappée, une monnaie s’obtient à partir de coins métalliques qui, eux, sont gravés : l’auteur est un scalptor – therme utilisé uniquement pour l’antiquité – , qui obtient son motif en creux (ou en relief pour les monnaies incuses d’Italie du Sud).

    Cette gravure se déploie en petite dimension, et les artistes rivalisent souvent de finesse au point qu’on se demande comment ces objets ont pu être fabriqué durant l’antiquité !

    Si de grands camées impériaux peuvent atteindre plusieurs dizaines de centimètres (31cm pour le Grand Camée de France, fig. 1), les petites intailles de cornaline (ex, monté en bague), les plus courantes, font la plupart du temps une quinzaine de millimètres et les grandes intailles magiques font autour de 30/35mm.

    Les monnaies, pour leur part, tournent souvent entre 18mm (pour des deniers ou des petits bronzes du IVè siècle) et 30/35mm (pour les sesterces ou les asses républicains), même si des pièces exceptionnelles comme des multiples ou des médaillons peuvent être encore plus grands.

    Les dimensions moyennes sont donc tout à fait comparables.

    D’ailleurs, une grande part des gemmes qui nous sont parvenues ont été découvertes dans des trésors monétaires : ces objets devaient être thésaurisés avec les monnaies (Guiraud, 1988).

    On pourrait aussi penser que les monnaies sont des multiples (plusieurs milliers issues des mêmes coins) quand les intailles sont uniques. Mais elles sont aussi, à la manière de coins, à l’origine de tirages (en cire ou en argile) en positif quand on les emploie comme sceau.

    LES PORTRAITS

    On peut rapprocher des plus beaux portraits numismatiques un certain nombre de pierres gravées et on peut penser qu’ils émanent des mêmes modèles de la maison impériale.

    Auguste camée de face
    Auguste – camée de face
    Agrippa, intaille
    Agrippa – Intaille

    D’ailleurs, il semblerait que des intailles aient été distribuées aux soldats lors de donativa, en particulier pour Brutus, Marc-Antoine et Octave, avec des portraits, des thèmes personnels (EID MAR pour Brutus, Apollon Actien et l’anneau de César pour Octave…) (cf. Laignoux, in « De l’or pour les braves !, 2014). On peut donc penser que des ateliers glyptiques accompagnaient parfois les ateliers monétaires itinérants.

    Néanmoins, c’est dans le luxe des grandes villes que se déploie le mieux la glyptique, et des œuvres hors du commun ont pu voir le jour, détaché des contraintes de la monnaie, et offrir des œuvres comme la famille Sévère au complet ou l’Auguste de face (illustré au dessus, qui n’est pas sans rappeler ces monnaies avec cet angle de vue assez rare dans l’absolu).

    Il est dommage que numismates et glypticiens n’aient pas davantage échangé : c’est certain qu’ils auraient beaucoup à s’apprendre et certaines intailles décrites comme « empereur » pourraient être identifiées.

    DES THEMES ICONOGRAPHIQUES COMMUNS

    Un numismate feuilletant des catalogues de glyptique ne peut pas s’empêcher de reconnaître certains schémas iconographiques, qui faisaient partie de la culture visuelle de leur époque.

    Ainsi, des animaux plus ou moins mythologiques se trouvent figurés de façon comparable sur des intailles et des monnaies : la Louve de Romulus et Rémus (fig. 2), le capricorne (fig. 3), l’aigle au foudre (fig. 4), le taureau Apis (fig. 5) ou encore le lion au foudre (fig. 6).

    Fig. 2 - Domitien, Aureus
    Fig. 2 – Domitien, Aureus
    Louve de Romulus et Rémus
    Louve de Romulus et Rémus
    Auguste, cistophor
    Fig. 3 – Auguste, cistophore
    camée avec un capricorne
    Le capricorne
    monnaie grecque en or avec un aigle
    Fig. 4 – Republique, 60 Asses
    camée avec un aigle
    L’aigle au foudre
    monnaies romaine avec le taureau Apis
    Fig. 5 – Antonin le pieux, Æ Diobol
    camée avec le taureau Apis
    Le taureau Apis
    monnaie en or
    Fig. 6 – Caracalla, Quinaire
    camée lyon
    Le lion au foudre

    Certaines scènes mythologiques (Hercule étouffant le Lion de Némée – fig. 7) ou d’histoire romaine mythique (Faustulus découvrant la Louve et les Jumeaux – fig. 8 – ou Enée fuyant Troie avec Ascagne, Anchise et le palladium fig. 9 ) sont d’une grande parenté de composition sur pierre et sur métal.

    denier serratus
    Fig.7 – Hercule étouffant le Lion de Némée
    camée avec hercule tuant le lion de nemée
    denier Roma
    Fig. 8 – Sextus pompée faustulus
    camée avec romulus et remus
    Faustulus et la louve
    denier de jules caesar
    Fig. 9 – Jules césar, denier
    camée de Enée fuyant troie
    Enée fuyant Troie

    Certains types numismatiques semblent repris en glyptique : Mars Victor portant un trophée (fig. 10), Venus Victrix tenant un casque (fig. 11), Sol debout tenant un globe (fig. 12) ou dans son char vu de face, Asclepios (fig. 13), Neptune le pied sur une proue (fig. 14), Fortuna avec corne d’abondance et gouvernail, ou la Victoire écrivant sur un bouclier, assise (fig. 15) ou debout montrant ses fesses (fig. 16).

    monnaie romaine avec mars victor
    Fig. 10 – Numérien , Aurélianus
    camée avec mars victor
    Mars victor portant un trophée
    monnaie romaine avec venus victrix
    Fig. 11 – Octave, denier
    camée avec venus victrix
    Venus Victrix tenant un casque
    monnaie romaine avec le dieu sol
    Fig. 12 – Constantion, Follis
    camée avec le dieu sol tenant un globe
    Sol tenant un globe
    monnaie romaine, denier de caracalla
    Fig. 13 – Caracalla, denier
    camée de Asclepios
    Asclepios
    aureus avec neptune
    Fig. 14 – Hadrien, Aureus
    camée neptune
    Neptune le pied sur une proue
    monnaie romaine en or avec une victoire
    Fig 15 – Constantin, solidus
    camée avec une victoire
    Victoire écrivant assis
    sesterce avec une victoire
    Fig. 16 – Vespasien, sesterce
    canée avec un ange
    Victoire écrivant debout

    Des divinités poliades se trouvent aussi sur les monnaies comme sur les pierres : Rome assise, évidemment (fig. 19) mais aussi la Tyché d’Antioche avec l’Oronte à ses pieds (fig. 20)

    camée rome assise
    Fig. 19 – Rome assise
    camée avec Rome assise
    Fig. 20 – Tyché d’Antioche

    D’autres images, enfin, éveillent forcément un écho chez le numismate : la dextrarum junctio (fig. 21) ou Néron se prenant pour Apollon. (fig. 22).

    monnaies romaines
    Fig 21 – GORNY & MOSCH GIESSENER MÜNZHANDLUNG, AUCTION 249, LOT 547
    camée 2 mains
    Fig. 21bis – Intaille
    camée néron en apollon
    Fig. 22 – Néron en apollon

    MAIS LA GLYPTIQUE DEPASSE AUSSI LARGEMENT CETTE ICONOGRAPHIE

    Par leur nature (objet unique, fabriqué pour un client, qui peut choisir aussi son image, mais aussi objet privé et de luxe), les intailles et les camées ont des possibilités que n’ont pas les monnaies.

    On trouve ainsi de nombreuses scènes buccoliques, bacchiques ou sacro-idylliques fig. 23 -, avec souvent même la présence d’un décor paysager, des scènes amoureuses (avec des Amours fig. 24 ) ou sexuelles, des gemmes philosophiques (memento mori au squelette – fig 25 – ou même représentation de philosophes comme Diogène dans son doliumfig. 26 -).

    camée amours et psyche
    Fig. 24a – Amours et Psyché
    camée amours lutant
    Fig. 24b – Amours luttant
    camée squelette
    Fig. 25 – squelette
    camée diogene
    Fig. 26 – Diogene

    Les motifs peuvent être plus près de la vie quotidienne, comme ces intailles figurant une course de chars (fig. 27), un gladiateur (fig. 28), ou des comédiens en coulisses (fig. 29).

    On a aussi des scènes mythologiques beaucoup plus narratives que sur les monnaies, comme Léandre se noyant pour rejoindre Héro (fig. 30), Vulcain forgeant des armes (pour Achille ou Enée – fig. 31), Oedipe répondant à la question de la Sphynge (fig. 32) Achille traînant le corps d’Hector autour de Troie (fig. 33).

    camée avec Léandre er Hero
    Fig. 30 – Léandre
    camée avec vulcain
    Fig. 31 – Vulcain
    camée avec oedipe
    Fig. 32 – Oedipe

    Enfin, des croyances antiques faisaient des pierres et des images des supports à la magie et à la médecine. On trouve alors des gemmes médicales – comme ici l’uterus que l’on veut fermer ou ouvrir avec une clé (fig. 34) – ou magico-religieuses (l’anguipède alectrocéphale – fig. 35 – le dieu léontocéphale – fig. 36 – , les inscriptions de formules magiques comme Ablanathanalba, les noms des archanges du judaïsme, du nom IAW, forme héllenisée de Yahvé/Jehova, dans un joyeux syncrétisme gnostique.

    intaille d'achille
    Fig. 33 – Achille

    Certaines de ces intailles, par leur iconographie, appartiennent au même contexte que les plaquettes danubiennes en plomb aux cavaliers. (fig. 37)

    tablette danubienne
    Fig. 37 – plaquette danubienne

    TECHNIQUES DE GRAVURE

    On peut peut-être apprendre sur les techniques de gravure des coins monétaires par l’étude des techniques glyptiques. En effet, si les sources antiques sont peu dissertes sur la technique monétaire et les coins authentiques peu nombreux, on en sait plus sur les pierres.

    Théophraste (Sur les Pierres) à la fin du IVè av JC et Pline l’Ancien (Histoire Naturelle, XXXVII) au Ier siècle, ainsi que l’étude des intailles elles-mêmes, nous laissent comprendre les grandes lignes. Les pierres sont taillées par abrasion. Une tige (ou « broche ») en fer recuit ou en cuivre use et creuse la surface par une rapide rotation entrainant une poudre abrasive (pierre de Naxos, grès voire poudre de diamant). Le mouvement était obtenu par un archet (stèle du graveur Doros de Sardes) ou une drille à pompe (fig. 38).

    Drille à pompe
    Fig. 38. Drille à pompe

    Le travail était très long et se terminait pas un polissage qui faisait disparaître les traces de gravure pour un rendu plus « naturel », avec des broches douces, de plomb, d’étain, voire de buis, avec un abrasif doux. Des auteurs ont avancé une durée de 5 ans pour la réalisation du grand camée de Vienne, la Gemma Augustea.

    Des lentilles convexes en cristal de roche auraient pu être utilisées comme loupe, mais essentiellement pour contrôler le fini. Des globes de verre remplis d’eau pourraient avoir eu la même fonction.

    Autant de procédés qui pourraient aussi avoir été utilisés dans les ateliers monétaires.

    Voilà comme on glisse d’une collection à une autre.

    En plus, il y en a de plein de couleurs.

    M.C.


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    Orientations bibliographiques :

    • GUIRAUD Hélène, Intailles et camées de l’époque romaine en Gaule, Paris, 1988
    • GUIRAUD Hélène, Intailles et camées romains, Paris, 1996
    • GUIRAUD Hélène, Intailles et camées de l’époque romaine en Gaule, vol. II, Paris, 2008
    • GUIRAUD Hélène (dir.), Glyptique romaine, Toulouse, 2010
    • MASTROCINQUE Attilo, Les Intailles magiques du département des Monnaies Médailles et Antiques, Paris, 2014

    Tous ces ouvrages sont disponibles sur commande via ma boutique en m’envoyant un e-mail !

    Toutes les intailles et tous les camées de ce post appartiennent aux collections du Cabinet des Monnaies Médailles et Antiques de la Bibliothèque Nationale de France, et on peut les retrouver sur le catalogue en ligne

    Origine des images pour les monnaies :

    • Fig. 2 : Nac Ag, Auction 105, Lot 23
    • fig 3 : Jean Elsen & Ses Fils S.a., Auction 116, Lot 369
    • fig 4 : Jean Elsen & Ses Fils S.a., Auction 143, Lot 350
    • fig. 5 :classical Numismatic Group, Inc., Triton Xxi, Lot 121
    • fig. 6 : Numismatica Ars Classica Nac Ag, Auction 54, Lot 499
    • fig. 7 : Olivier Goujon Numismatique, Mail Bid Sale 3, Lot 21
    • fig. 8 : Roma Numismatics Limited, E-sale 69, Lot 763
    • fig. 9 : Jean Elsen & Ses Fils S.a., Auction 135, Lot 159
    • fig. 10 : Monnaies D’antan, Auction 21, Lot 500
    • fig. 11 : Spink, Auction 19004, Lot 264
    • fig. 12 : Agora Auctions, Sale 101, Lot 605
    • fig. 13 : Classical Numismatic Group, Inc., Triton X, Lot 677
    • fig. 14 : Numismatica Ars Classica Nac Ag, Auction 102, Lot 513
    • fig. 15 : Numismatica Ars Classica Nac Ag, Auction 38, Lot 234
    • fig. 16 : Numismatica Ars Classica Nac Ag, Auction 74, Lot 305

    Article de blog rédigé par Prof Cambreling
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    6 commentaires sur “L’art au creux de la main – glyptique et Numismatique”

    1. C’est pas pour critiquer, mais l’iconographie des monnaies provinciales est beaucoup plus riche celle des monnaies impériales, et on trouve, en particulier chez Gallien, des scènes mythologiques narratives ou des scènes de gladiature.

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