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PRATIQUER > LA MONNAIE PAR LES THÈMES
Si Héraklès trouve son origine dans la mythologie grecque, il eut à Rome un statut particulier. Il faut dire qu’il correspondait particulièrement bien à la mentalité romaine, qui glorifiait la force et goûtait peu les amphigouris de héros plus verbeux, comme Œdipe ou Ulysse.
Les Romains, c’est bien connu, ont assimilé des dieux venus des quatre coins de la Méditerranée, voire plus loin. Mais avec l’interpretatio graeca , les Romains ont romanisé les mythes grecs, assimilant des divinités locales anciennes, à des divinités grecques.
Ils ont ainsi considéré que l’Héraklès des Grecs était passé par le Latium, en revenant d’Espagne où il avait vaincu Geryon et en rapportait les troupeaux pour son cousin Eurysthée.
SOMMAIRE
- Hercule, le Romain ?
- Hercule, un dieu majeur de la République
- Au Haut-Empire, une présence plutôt discrète
- L’empereur en buste herculéen
- Le pacificateur pourfendeur de monstruosités : l’allégorie du IIIè siècle
- Les 12 travaux
- Hercule et herculien, l’époque tétrarchique
Hercule, le Romain ?
Pendant qu’un Alcide fatigué par ses travaux faisait une sieste sur le site qui sera Rome, Cacus, bandit fils de Vulcain, aurait volé des bœufs. Hercule, à son réveil, se fâcha et affronta Cacus pour récupérer le bétail. Il le tua, dans sa caverne.
Le roi Evandre, qui était installé vers le Palatin, remercia Hercule d’avoir éliminé le bandit par une grande fête.
Il fut le premier à consacrer un autel pour célébrer Hercule comme un dieu (ou Hercule se le consacra lui-même), dans une zone où s’éleva par la suite le temple d’Hercules Victor ou d’Hercules Invictus (appelé aussi parfois Hercules Olivarius), sur le Forum Boarium (le Forum des Bœufs [de Geryon ?]).
Cet épisode est rarement représenté en numismatique, mais il existe deux médaillons sous Antonin qui le figurent.
Ces épiclèses d’Hercule (Victor et Invictus) auront beaucoup plus de succès sur les monnaies romaines. Les Romains (mais normalement pas les Romaines) juraient abondamment par Hercule (« Hercle » « Mehercle « …), c’est dire s’il faisait partie de la mentalité romaine.
Cet Hercule romain a une iconographie différente de l’Héraklès grec. On le trouve imberbe, assis sur des armes, souvent de face.
Son importance est telle qu’il figure en bonne place parmi les divinités sur les plus anciennes monnaies de la République. Il est à l’avers de didrachmes romano-campaniens, glabre, avec la léonté nouée autour du cou et la massue sur l’épaule droite. (illu).
Hercule, un dieu majeur de la République
Il est également à l’avers de quadrans de bronze, déjà en aes grave, mais jusqu’aux dernières émissions républicaines de bronze. Il porte, ici, la léonté sur la tête.
On le voit aussi, en pourfendeur de centaures, conduire un char tiré par deux de ces hybrides sur des deniers au bige.
Frappé par Marcus Aurelius Cotta, il célèbre peut-être la victoire des Romains (dont faisait partie un ancêtre du monétaire) sur Antiochus III aux Thermopyles, où Hercule aurait, lui, défait les centaures.
A la fin du IIè siècle avant notre ère, vers 112-111 et 100, deux deniers figurent à l’avers un Hercule surprenant : barbu, vêtu de la léonté et armé de la massue, il est vu des trois-quarts dos et semble se retourner. Peut-être faut-il y voir Hercules Respicens (« Hercule qui regarde en arrière »), divinité vénérée à Reate (aujourd’hui Rieti), dans le Latium, capitale de la Sabine, pour montrer l’origine de la gens des monétaires.
Au premier siècle avant notre ère, les images d’Hercule se font encore plus variées et narratives. On trouve ainsi le combat d’Hercule contre le Lion de Némée, avec arc et carquois dans le champ à gauche et la massue au sol (référence à la victoire des syllaniens sur les marianistes ?) et le sanglier d’Erymanthe (référence aux Ludi Plebeii ?).
On trouve aussi, de façon encore plus inhabituelle, Hercule musagète (Hercules Musarum), dans la série de Quintus Pomponius Musa, dans laquelle le monétaire joue sur son cognomen en figurant les 9 Muses, et Hercule, armé d’une lyre.
Il était ainsi célébré dans un temple de Rome, dont nos revers reprennent sans doute les statues. Hercule était pourtant un piètre musicien. Son professeur fut Linos, fils de la muse Calliope, qui aurait frappé Hercule, mauvais élève. Hercule lui rendit le coup. Il mourut. On célèbre donc avec les Muses le meurtrier d’un de leurs rejetons et piètre artiste.
A la fin du Ier siècle avant notre ère, les familles insistent sur leurs origines divines, à l’instar de César avec Venus. Pour Hercule, il y a la gens Antia, qui prétend descendre d’Antiades, fils d’Hercule et d’Aglaé, lors de son passage sur le site de Rome. Le revers de leurs deniers montrent donc Hercules Victor.
Il y a aussi Marc-Antoine, qui prétendait que la gens Antonia était issue d’Anton (Άντων), un obscur fils d’Hercule sans doute créé pour l’occasion, figuré au revers d’aurei .
Au Haut-Empire, une présence plutôt discrète
Hormis un denier d’Auguste et un autre des guerres civiles de 69, il n’y a pas de monnaie figurant Hercule sous les julio-claudiens et les flaviens. Avec Trajan, quelques Hercule apparaissent, en particulier sur des quadrans qui rappellent peut-être les bronzes républicains de même dénomination, mais où l’avers figure le héros barbu et le revers la massue .
C’est surtout avec Hadrien qu’Hercule retrouve les faveurs des monnaies. Le classique Hercule assis de face (avec un beau manspreading), mais aussi des iconographies plus originales, en lien avec l’Extrême-Occident du Jardin des Hespérides et l’Hercule Gaditain (celui des colonnes d’Hercule, issu du Melqart punique). Cela doit-il étonner pour un empereur né en Espagne ?
![HERC[ules] GAD[itanus] (RIC 505)](https://bnumis.com/wp-content/uploads/2024/12/aureus-hadrien-hercule-gladit.jpg)
Mais l’empereur le plus lié à Hercule est indéniablement Commode, au point de se prendre pour un Hercule romain. Il reprend les éléments du mythe d’un passage d’Hercule à Rome, avec Cacus et Evandre, quand on voit Hercule consacrer son premier autel. Il a, pour cela, ceint ses reins et tient une corne d’abondance, suspendant sa léonté sur un arbre.
Plus spectaculaire, Commode se présente lui-même en nouvel Hercule, coiffé à l’avers de la léonté, et figure au revers Hercule procédant à ces rites de fondation avec une charrue tirée par des bœufs, sur des aurei et des médaillons. Il faut dire qu’il a refondé la Ville sous le nom de Colonia Lucia Annia Commodiana. Dès lors, Commode est le nouvel Hercule romain. Tout ça, si on en croit l’Histoire Auguste, pour avoir massacré des bêtes dans un amphithéâtre de Lanuvium.
Sous les Sévères, Hercule est souvent associé à Dionysos, comme une paire de dieux tutélaires et particulièrement célébrés lors des Jeux Séculaires.
![Aureus de Septime Sévère (RIC 25) avec Hercule et Dionysos et la légende DIS AVSPICIB[ibus] ("aux dieux favorables")](https://bnumis.com/wp-content/uploads/2024/12/aureus-de-septime-severe-avec-hercule.jpg)
L’empereur en buste herculéen
À l’instar d’Alexandre, des empereurs jouèrent avec l’image d’Hercule. Le roi macédonien, en effet, avait prêté ses traits à Héraklès sur des drachmes et tétradrachmes. Les Romains qui émirent les médaillons contorniates à la fin du IVè s’en sont souvenu.
À Rome, Trajan le premier avait joué l’ambiguïté : sur ses quadrans où l’avers figure le héros barbu, la titulature est celle de l’empereur. On cherche sans doute déjà à assimiler dans les mentalités le souverain au héros.
Hadrien, par la suite, sur de très rares monnaies, porte « discrètement » la léonté autour du cou.
Au cours du IIIè siècle, des empereurs comme Gallien ou Postume ont rivalisé de virtus en se présentant comme Hercule.
Un des derniers Hercule, Maximien, fut à ce point comparé au demi-dieu qu’il fut surnommé Maximien-Hercule. Aussi les assimilations iconographiques furent-elles nombreuses, pour lui comme mais aussi pour son fils Maxence.
Parfois, les empereurs portent la léonté sur une épaule et la massue sur une autre, comme Gallien , Postume, Maximien ou Constance Chlore.
Le pacificateur pourfendeur de monstruosités : l’allégorie du IIIè siècle
Avec la crise du IIIè siècle, l’empereur a besoin de se présenter comme un homme doté d’une grande virtus (énergie virile).
Les empereurs se présentent parfois en Hercule, mais les revers aussi font la part belle à Alcide.
On trouve beaucoup de monnaies qui célèbrent l’énergie virile en mettant souvent en scène Hercule, dans une pose au repos empruntée à l’Hercule Farnèse.
La virtus de l’empereur est parfois même encore plus personnalisée, comme avec la légende VIRT GALLIENI AVG .
Hercule peut aussi brandir le rameau d’olivier de la paix, qu’on désire tant obtenir durant cette « anarchie militaire ». Hercule est ainsi valorisant par sa virtus, ou comme porteur de paix (pacifer). Cette iconographie fut utilisée de Lucius Verus à Carausius.
Plusieurs émissions légendent ERCVLI, preuves que le H aspiré ne s’entendait pas toujours.
Ainsi, prononcer le H était signe de snobisme ou de cuistrerie. Ne pas le noter pouvait être pour faire « populaire ».
![Antoninien de Probus au revers ERCVLI PACIF[ero] (RIC 375).](https://bnumis.com/wp-content/uploads/2024/12/probus-aurelianus-avec-erculi.jpg)
Hercule devient un véritable « compagnon » (comes, comiti au datif) de l’empereur, au point d’être à ses côtés.
Les 12 travaux d’hercule sur les monnaies
Probus et Postume, en particulier, se mettent à développer de grands cycles narratifs, autour des douze travaux.
Hercule a parcouru le monde connu, l’extrême orient, l’extrême occident, le monde des dieux, le monde des morts, pour le débarrasser des monstres, pour le pacifier, le rendre habitable. Ces revers veulent montrer que l’empereur est un nouvel Hercule : en ce IIIè siècle agité, il est sur tous les fronts, combat des monstruosités pour le pacifier.
Hercule et herculien, l’époque tétrarchique
Cette période de trouble prit fin grâce à Dioclétien, qui organisa un pouvoir à plusieurs. D’abord deux, la dyarchie, puis quatre, la tétrarchie. Dioclétien se place sous le patronage de Jupiter et place son confrère Maximien, le colosse, sous celui d’Hercule. Il y a là une référence à la Gigantomachie, quand les dieux affrontèrent les géants : Hercule vint prêter main forte à Jupiter qui ne pouvait pas gagner sans lui.
Le calcul politique était bon : Hercule est inférieur à Jupiter, et Dioclétien assurait sa suprématie symbolique. Dès lors, de nombreux revers figurèrent les deux dieux. Et des avers aussi (cf plus haut). L’iconographie puise dans les nombreux modèles antérieurs.
Des petits détails s’appuient également sur Hercule : à Siscia, des lettres à l’exergue permettent de recomposer HP/KOV/ΛI (Herkouli). A Carthage, des lettres sous le buste ou dans le champ font référence à l’essence jovienne (I, pour Iovi) ou herculienne (H) de l’empereur à l’avers. On trouve aussi, à Trèves, des H sous le buste, en particulier des empereurs herculiens (Maximien et Constance). On trouve en théorie le I pour Dioclétien, Galère, Maximin, et le H pour Maximien, Constance, Sévère et Maxence. Mais les hybridations sont très fréquentes : tous les empereurs sont empereurs de plein exercice et tout s’inter-pénètre.
La figure d’Hercule disparut néanmoins brutalement des monnaies romaines au début du IVè siècle. Et paradoxalement, c’est un empereur d’essence jovienne, Maximin II, qui, le dernier, frappa des monnaies, en son nom et en celui de son co-régent Constantin, en 313. Peu après, en mai 313, Maximin II disparut et avec lui le paganisme perdit son dernier prosélyte.
Seuls quelques contorniates, émis pour les dernières élites sénatoriales païennes à la fin du IVè ou au début du Vè siècle, firent réapparaître Hercule sur des objets monétiformes. Mais ces objets, rares, émis par des particuliers, circulant dans un milieu très restreint furent le chant du cygne d’une certaine culture païenne.
La France réutilisa la figure d’Hercule, telle que l’a gravée Dupré où il représente la fraternité, encadrée par la liberté et l’égalité. Ce motif traversa la fin du XIXè et le XXè siècle.
Les Jeux Olympiques de Paris 2024 virent le retour d’un Hercule athlétique, affrontant les monstres : sur la pièce de 2€ commémorative, on voit le héros coiffé de la léonté affronter une gargouille de Notre-Dame. L’Antiquité contre le Moyen-Âge ?
Hercule, héros de la plus haute antiquité, était devenu un nom commun. Mais en perdant sa majuscule, n’est-il pas, sur cette monnaie contemporaine, devenu un hercule de foire ?
M.C.
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- Leu Numismatik (1991-2007), Auction 93, Lot 68
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