À la croisée des croyances ☧
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PRATIQUER > LA MONNAIE PAR LES THÈMES
Composé des deux premières lettres du nom du Christ en grec (ΧΡΙΣΤΟΣ), ce symbole représente un des premiers emblèmes chrétiens et deviendra un symbole propre au règne de Constantin, qui, même s’il favorisa les chrétiens, ne le fut, lui, que sur son lit de mort en 337.
Le contexte de la conversion de Constantin
La bataille de Milvius
D’après les récits, le chrisme aurait été « livré » à l’empereur Constantin lors d’une vision ou d’un rêve : il aurait vu ce symbole juste avant la bataille du pont Milvius en 312.
Selon la légende, le Christ lui serait donc apparu en rêve, lui montrant le chrisme et lui promettant la victoire sous ce signe. Un message accompagne le symbole: hoc signo victor eris (“sous ce signe tu vaincras”).
Encouragé par cette vision, Constantin aurait arboré le chrisme sur son étendard et aurait remporté la bataille décisive contre son rival Maxence.
Dès cette bataille du “Pont Milvius”, le chrisme devient un signe foncièrement constantinien avant que d’être chrétien.
313 et l’Edit de Milan
Après cette importante bataille, Constantin Ier fait proclamer en 313 l’édit de Milan, qui permet aux chrétiens d’exercer librement leur culte. Ils ne sont donc plus tenus de vénérer la personne de l’empereur, de l’honorer comme un dieu. Ce point donnait lieu jusque-là à d’importantes crispations.
Cet édit a été une étape cruciale dans l’histoire du christianisme, car il met fin à la persécution des chrétiens et permettra à cette religion de se développer et de s’établir plus solidement.
De père en fils ?
Selon Eusèbe, historien et ecclésiastique du IVe siècle, cette conversion de Constantin était le résultat d’une longue lignée de dévotion chrétienne, remontant jusqu’à son père, Constance Chlore. Eusèbe suggère que Constance Chlore, le père de Constantin, avait une dévotion secrète envers un dieu unique, préparant ainsi la voie à la conversion de son fils au christianisme.
Le culte solaire et les monnaies de l’empire romain
Mais Constance Chlore, bien qu’officiellement associé au culte de Jupiter, était en réalité un fervent adorateur du dieu solaire, Sol Invictus.
Les monnaies frappées sous son règne témoignent de cette dévotion, proclamant Sol comme « Maître de l’empire romain » et conférant aux empereurs des titres glorifiants.
Ce culte, associé au dieu Sol Invictus (héritage d’Aurélien), était omniprésent dans l’armée romaine et particulièrement fort dans la région du Danube.
Constantin, comme son père, manifeste sur ses monnaies sa foi particulière pour le dieu solaire, comme on peut le constater avec la légende SOL INVICTO COMITI qu’il utilise de 310 à 321.
Le chrisme sur les monnaies : un symbole de transition
Les premières monnaies de l’empire romain où figure le chrisme sont des multiples d’argent, des médaillons frappés lors de la célébration des décennales de Constantin, qui saluent en ses dix ans de règne en 315.
Sur ce médaillon surement distribué de façon honorifique à quelques élus, le christogramme se fait discret mais orne néanmoins le casque d’un Constantin en tenue militaire.
Une autre apparition, plus rare, se trouve sur des nummi de bronze frappés à Siscia en 319, où le monogramme est également présent sur le casque impérial, souvent accompagné de symboles solaires.
Ce n’est qu’en 327 que le monogramme constantinien est véritablement intégré à l’iconographie monétaire impériale en figurant sur des monnaies frappées à Constantinople qui représentent la Spes Public, l’Espérance publique. Ce type souligne ainsi son intégration croissante dans le répertoire iconographique monétaire de l’époque.
Le concile de Nicée et les conflits religieux
Le concile de Nicée, censé régler une controverse théologique majeure de l’époque : l’hérésie arienne est convoqué par Constantin en 325. Il fut le théâtre de conflits théologiques majeurs, notamment autour de la nature divine de Jésus-Christ.
Malgré la tentative de Constantin d’unifier la foi chrétienne, les tensions religieuses persistaient, comme en témoigne le règne de Constance II, fils de Constantin, marqué par des persécutions contre les nicéens.
Héritage et Impact
À la suite de Constantin, l’utilisation du chrisme sur les monnaies devient une pratique répandue parmi les prétendants au pouvoir impérial.
Ainsi, des monnaies au nom de Constans II à la légende Hoc Signo Victor Eris (“avec ce signe tu seras vainqueur”) ou figure le couronnement de l’empereur par Victoria face à son armée, faisant écho à celui de Constantin Ier au Pont Milvius.
Mais ce sont des monnaies frappées par Vetranion, usurpateur et général chrétien des légions du Danube. Il frappe les monnaies au nom de Constance II pour se légitimer.
Lorsque Constance II rencontre Vétranion à Naissus, lieu important pour la dynastie, il rappelle son lien avec la lignée impériale. En signe de soumission, Vétranion retire son diadème et abdique alors devant lui.
D’autres prétendants au pouvoir s’accordent même davantage d’importance à ce symbole en faisant le thème principal du revers de leurs monnaies. Un exemple notable est celui de Magnence, qui frappe certaines monnaies arborant un grand chrisme occupant tout l’espace au revers.
Dans ces représentations, le symbole est accompagné des lettres grecques A et ω (alpha et omega), faisant écho aux paroles du Christ : « Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin ».
Par la suite, la présence de Chrisme ne se limite pas aux labarums tenus par des militaires au revers et il se diversifiera et apparaitra même sur les revers des impératrices.
On pourra aussi souvent l’observer à l’avers, à proximité directe de l’empereur.
Certains empereurs tardifs, tels qu’Honorius ou Majorien, se font ainsi représenter en tenue militaire, arborant une cuirasse et un bouclier orné du chrisme, soulignant ainsi son importance persistante dans la représentation impériale.
Le chrisme s’impose donc durablement sur les monnaies romaines de l’empire, témoignant de son importance continue dans la conscience collective de l’époque.
Même si sa représentation en plein sur les monnaies des règnes suivants n’est pas toujours conservée, le chrisme demeure un motif récurrent jusqu’à la chute finale de l’Empire romain d’Occident au Vème siècle après Jésus-Christ….et bien longtemps après.
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Origine des images
- Nummus POP avec le pont Milvius au revesr, Classical Numismatic Group, Electronic Auction 320, Lot 579
- Constance Chlore, Aurélianus, Heidelberger Münzhandlung Herbert Grün, Auction 55, Lot 361
- Médaillons d’argent de Constantin, Numismatica ars classica, auction 106 lot 1051
- Constantin, nummus frappé à siscia, Leu Numismatik, via Nummus bible
- Constantin, chrisme et labarum, Numismatica Ars Classica, Auction 46, Lot 711
- Constans II, Roma Numismatics Limited, E-sale 18, Lot 1154
- Magnence, Classical Numismatic Group, Electronic Auction 524, Lot 668
- Solidus d’Aelia Eudoxia, Roma Numismatics Limited, E-sale 62, Lot 1188
- Honorius, solidus, Roma Numismatics Limited, Auction 23, Lot 711
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