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Si la plupart des numismates a déjà croisé le revers IOVI PROPVGNAT, plus rares sont ceux qui connaissent le revers IOVI FVLGERATORI essentiellement frappé sous la tétrarchie. Ces mystérieuses monnaies émises à Trèves, Rome et peut-être même Meaux (!) seraient de rares témoignages de la propagande impériale résultant des révoltes en Gaule ayant mené au nécessaire partage du pouvoir de Dioclétien avec Maximien.
Il existe un revers atypique pour la Tétrarchie, avec un Jupiter dynamique en train de brandir son foudre. On lit au revers IOVI FVLGERATORI (« à Jupiter qui foudroie »).
D’abord, l’étude du R.I.C. permet de remarquer que cette légende n’existe que pour Rome en antoninien (Dioclétien 167 et 168 et Maximien 510, datés par le RIC de 290) et Trèves et Rome en aureus : Dioclétien Rome 144, 145 et 146, [tous R2, datés de 290] et Trèves 56a (Dioclétien) et 56b (Maximien) (R4 datés de 293-294).
Un type original autour de Jupiter au foudre
Sur les aurei, on voit Jupiter allant dynamique vers la gauche et se tournant vers la droite pour foudroyer un géant que l’on reconnaît à son caractère anguipède (= à pieds de serpents).
La différence entre ceux de 290 et 293-294, c’est que les plus anciens figurent le manteau flottant à droite, alors que les plus tardifs représentent Jupiter tenant de la main gauche le géant par les cheveux.
Sur les antoniniens, il n’y a pas le géant.
Jupiter brandit cependant toujours son foudre vers la droite tout en se dirigeant vers la gauche, avec son manteau se relevant à droite. Et il a un aigle à gauche (sauf sur 510b).
Un type rare
On peut trouver trace en tout et pour tout d’une dizaine d’aurei et une quinzaine d’antoniniens, pour moins d’une dizaine de références. Le RIC donne les aurei rares (R3 et R4) et les antoniniens scarce ou ne mentionne pas de rareté.
Les antoniniens semblent cependant plus rares que ne l’indique le RIC.
Mais le plus étonnant, c’est qu’il n’existe dans toutes les références du RIC, du Cohen, du Bastien et des autres ressources que j’ai pu consulter aucune autre monnaie romaine au revers IOVI FVLGERATORI. Le RIC mentionne un antoninien de Claude II (RIC 51 (R), au revers IOVI FVLGERAT, mais il serait tellement rare que le RIC-MOM n’a trouvé aucune monnaie avec cette légende sur la période couverte.
Cette légende n’est même pas reprise par cette base. Et c’est tout.
La composition évoque le revers assez fréquent IOVI PROPVGNATORI (Jupiter dynamique allant à gauche et foudroyant vers la droite), comme sur l’aureus illustré ici d’Alexandre Sévère.
En revanche, la légende FVLGERATORI ne se rencontre que sous la Tétrarchie. Pourquoi ?
Une marque d’atelier énigmatique: IAN
Poursuivant mes investigations, j’ai trouvé d’autres monnaies, absentes des ouvrages « grand public » que sont les RIC, Cohen et Bastien avec ce revers. Et pour cause, elles sont issues d’une émission particulièrement rare, connue à 5 exemplaires, portant à l’exergue IAN.
Les aurei de cette émission figurent IOVI FVLGATORI, HERCVLI VICTORI et VIRTVS AVG
Xavier Loriot, dans un bulletin de la SFN et Pierre Bastien (« the Iantinum mint », ANSMN 25, 1980) proposent de lire l’exergue IAN en Iantinum, nom antique de la ville de Meaux.
Cette émission aurait été issue d’un atelier temporaire ouvert lors des campagnes de Maximien contre les Bagaudes, paysans de Gaule révoltés, qui se choisissent pour chef Amandus et Elien :
«Bientôt des paysans sous le nom de Bagaudes, qu’ils donnaient à leur parti, soulevèrent la Gaule, avec leurs chefs, Amandus et Elianus; Dioclétien envoya pour les soumettre le César Maximilien Hercule qui défit ces campagnards dans de légers combats et rétablit la paix dans la Gaule »
Eutrope, IX, 13
Un parallèle littéraire frappant
Loriot et Bastien proposent une comparaison édifiante. Dans un Panégyrique (discours de louanges) prononcé devant Maximien à Trèves en 291 par l’orateur Mamertin, on trouve mention de ces campagnes.
« […]il ne fallait rien de moins qu’un secours divin et où l’assistance d’un dieu unique n’était pas même suffisante, tu as, au côté du prince, étayé la puissance romaine qui croulait, avec autant d’opportunité que ton ancêtre Hercule prêta main forte jadis à votre souverain Jupiter, au milieu des difficultés de la guerre des Géants, prit une large part à la victoire et prouva ainsi qu’il avait rendu le ciel aux dieux plutôt qu’il ne l’avait reçu d’eux. N’était-il pas semblable à ces monstres aux doubles formes, ce fléau qui s’abattit sur notre pays et dont je ne saurais dire, césar, s’il fut plutôt maîtrisé par ton courage ou apaisé par ta clémence, quand des paysans ignorant tout de l’état militaire se prirent de goût pour lui, quand le laboureur se fit fantassin et le berger cavalier, quand l’homme des champs portant la dévastation dans des propres cultures prit exemple sur l’ennemi barbare ? »
Mamertin, Panégyrique de Maximien, II, 4
Des références sans doute historiques
On apprend dans ce texte qu’il était d’usage de comparer la campagne contre les Bagaudes à la Gigantomachie (lutte des dieux contre les Géants révoltés), selon laquelle Maximien/Hercule est venu apporter une aide cruciale contre les Géants/Bagaudes (mi-paysans, mi-soldats, comme les premiers sont mi-anthropomorphes, mi-serpent) révoltés face à Dioclétien/Jupiter.
Dès lors, ce type IOVI FVLGERATORI est rapproché de la campagne contre les Bagaudes et la victoire de Maximien, et la datation des monnaies et des événements doit être réfléchie : il faut remonter les monnaies avant 293, et peut-être même 291.
Conclusion
Ces monnaies, frappées à Trèves, Rome et peut-être Meaux (et Lyon, pour d’autres thèmes herculéens en lien avec ces textes que je pourrais développer ultérieurement) sont donc de rares témoignages de la propagande impériale résultant des révoltes en Gaule ayant mené au nécessaire partage du pouvoir de Dioclétien avec Maximien. Ce qu’on voit bien à la localisation des ateliers concernés, surtout en Gaule.
On remarque aussi que ces monnaies sont pour Dioclétien et Maximien, évoquant Jupiter et Hercule de la Gigantomachie, et pour Constance, après qu’il a été nommé césar, parce qu’il était au charbon en Gaule. Mais pas Galère.
Bref, c’est ça la numismatique : une monnaie fait ouvrir des livres qui font découvrir des monnaies qui font relire des textes qui apportent alors un éclairage nouveau. On ne sait jamais où ça va nous amener. Souvent, loin. Parfois même à la poésie.
Maxime Cambreling, numismatiste
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Origine des images :
- Diocletien, antoninien | Leu Numismatik, Web Auction 25, Lot 2501
- Diocletien, aureus | British museum, n° 1867,0101.869
- Alexandre sévère, aureus | British museum, n°41841,0928.12
- Maximien Hercule, aureus | Heritage World Coin Auctions, NYINC Signature, Sale 3081, lot 32071
- Maximien Hercule, Antoninien | Collection de l’auteur
Super et passionnant d’apprendre et d’apprendre encore sans cesse
J’adore vos article sur les monnaies romaines et vous invite à continuer.
MERCI BEAUCOUP A VOUS
Merci Henri
Merci Xav
Encore au top ….félicitation
Article passionnant, merci pour le partage de vos connaissances