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L’année des 4 empereurs : Vindex, le rebelle & Civilis le Batave

    aureus SPQR

    La Guerre civile de 68-69, partie I : les monnaies anonymes

    Temps de lecture : 6mn

    PRATIQUER > LES MONNAIES RACONTENT L’HISTOIRE

    La révolte gronde…

    Après 65, dans les dernières années du règne de Néron, un vent de révolte souffla. La conjuration de Pison avait échoué, et entrainé la condamnation au suicide de Sénèque et Lucain, ou encore la nomination de Nymphidius Sabinus et Nerva (oui, il sera empereur 30 ans plus tard) comme préfets du prétoire. On sentait que beaucoup de Romains haut placés attendaient une occasion pour liquider Néron. On voulait un autre empereur. Mais on ne savait pas que peu de temps après, on aurait une année des 4 empereurs

    Vindex le rebelle de la Gaule Lyonnaise

    En mars 68, Caius Julius Vindex, gouverneur de Gaule lyonnaise, issu d’une noble famille sénatoriale d’Aquitaine, sentit que c’était le moment. Beaucoup de cités réunies au sanctuaire des Trois-Gaules répondirent à son appel (mais pas toutes).

    Les gouverneurs d’autres provinces ne le suivirent en revanche pas, à l’exception notoire de Galba, en poste en Tarraconaise (d’où des inscriptions comme CONCORDIA HISPANIARVM ET GALLIARVM, la Concorde des Hispanies et des Gaules).

    Les monnaies se veulent modestes. On n’en a aucune avec le portrait de Vindex, qui prétend ne pas agir pour lui, mais pour le Peuple Romain (PR), le Sénat et le Peuple Romain (SPQR) voire même le Genre Humain (salvs generis humani) très présents sur les inscriptions numismatiques.

    Vindex, qui ne viserait donc pas la pourpre, n’appose pas son nom ni son image. On sait pourtant que ce fut souvent l’un des premiers gestes des nouveaux souverains ou des usurpateurs.

    En effet, sans mention explicite de leur émetteur, elles pourraient également relever d’un autre prétendant à la pourpre de ces années de guerre civile, 68-69 étant présentée comme « année des 4 empereurs« . Mais frappées en Gaule et/ou en Espagne (territoires au cœur de cette année, tous empereurs confondus), elles ont souvent été rapprochées de Vindex (Galba, Othon et Vitellius ayant été représentés aux avers).

    Elles ne sont sans doute pas pour autant toutes à attribuer à Vindex. Elles témoignent néanmoins d’une volonté de rupture avec Néron, d’un retour à d’anciennes valeurs, d’anciennes institutions, et les monnaies mettent en scène cette dynamique réactionnaire et au moyen de « la mémoire numismatique » comme l’appelle D. Grau.

    Brutus | denier EID MAR
    Brutus | denier de -44 au revers EID MAR au pileus et aux poignards

    Un type de denier, par exemple, fait allusion aux monnaies de Brutus, antérieures de plus d’un siècle…le fameux denier frappé pour commémorer l’assassinat de César le 15 mars (Ides de Mars) en 44 avant J.-C.

    Denier Ric 24 frappé en Espagne guerre civile
    Denier de 68-69 à l’avers LIBERTAS et au revers au pileus et aux poignards (Ric 24) frappé en Espagne

    Il s’agit de ce denier sur lequel l’avers célèbre LIBERTAS (comme sur des monnaies de Cassius). Le revers, lui, reprend le pileus entre deux poignards (comme sur les monnaies de Brutus) et l’inscription RESTITVTA PR : La Liberté / rendue au peuple romain.

    Les types mettent en avant la Victoire, les Mains jointes (dextrarum junctio) signe de concorde (fides exercituum , la fidélité des armées).

    Les avers reprennent des divinités qu’on a pu voir sous la République : Mars, Jupiter Capitolin, Junon Moneta, le Génie du Peuple Romain… Car en temps de troubles, on se rassure avec des modèles du passé.

    Il faut dire aussi que si on ne veut plus de Néron, on ne sait pas vraiment ce qu’on veut à la place. Un retour à la République ? Mais quelle République ? Elle était devenue un modèle idéalisé.

    Vindex..la chute

    Zoom sur la bataille de Vesontio

    En réponse à la défection de plusieurs cités gauloises menée par Vindex, Lucius Verginius Rufus, légat du district militaire de Germanie supérieure, dirige ses troupes vers les provinces de Gaule belgique et lyonnaise. À leur arrivée sur le territoire des Séquanes, les troupes romaines se heurtent à l’hostilité des habitants de Vesontio (Besançon). Sans attendre, Lucius Verginius Rufus assiège la ville rebelle.

    Mais Vindex et ses troupes réagissent en se portant au secours des assiégés. Une rencontre secrète entre Vindex et Rufus est rapportée par Dion Cassius, laissant entendre un possible complot contre l’empereur Néron. Les détails précis de cet accord restent inconnus, mais les événements ultérieurs semblent corroborer l’idée d’une collaboration entre les deux hommes.

    Les troupes gauloises, composées de cavaliers bataves et d’auxiliaires belges de Lucius Verginius Rufus, attaquent sans ordre lors du mouvement des forces gauloises en direction de Vesontio. Les provinces gauloises ne disposant pas de légions, leurs troupes étaient probablement constituées de vétérans et d’hommes peu aguerris, principalement des Éduens et des Arvernes.

    L’attaque surprise des troupes romaines cause la mort de près de 20 000 gallo-romains, et face à ce désastre, Vindex met fin à ses jours. Lucius Verginius Rufus, affecté par la situation, refuse d’accepter l’empire malgré les pressions de ses soldats. Ils arrachent les images de Néron, proclament Rufus César Auguste, mais celui-ci efface ces titres, convainquant ses troupes de laisser la décision être prise par le Sénat et le peuple romain.

    Cependant, Rufus se retrouve dans une situation délicate. Si l’on considère qu’il avait pactisé avec Vindex, il devient vulnérable face à Néron. Galba, apprenant la situation, entre en contact avec Rufus et se retire à Tarragone, manifestant ainsi ses préoccupations et son désir de préserver l’empire et la liberté romaine.

    Les sources littéraires anciennes telles que Dion Cassius, Plutarque, Suétone et Tacite contribuent à reconstituer ces événements qui ont marqué cette période tumultueuse de l’histoire romaine.

    Civilis le Batave

    À la même époque, (Caius ?) Julius Civilis, auxiliaire batave, fait des siennes. Il voit son frère exécuté pour trahison en 68. Il est lui-même fait prisonnier et envoyé à Néron. Mais Galba par la suite le libèrera.

    En octobre 69, une rébellion le prend pour leader, rejointe par des Gaulois et des Germains. Il signe la paix avec les Romains en 70.

    Des monnaies anonymes, comme le denier ADSERTOR LIBERTATIS, Ric.130 ou l’aureus SALVTATIS, Ric.134, lui étaient attribuées mais un article de 2017 (Bocciarelli, Blet-Lemarquand et Suspène) les attribue davantage à un atelier espagnol proche de Vespasien en raison de l’analyse élémentaire du métal des aurei, qui pointe une origine ibérique.

    Cette période de guerre civile et de fin de règne pour Néron, la fameuse « année des 4 empereurs », a entrainé la frappe de monnaies, en or et en argent, qui ont dû servir à payer des troupes rebelles au pouvoir central.

    Un certain nombre est anonyme, mais l’iconographie montre clairement l’ambition d’un retour à un passé salvateur.

    On avait tendance à attribuer ces monnaies anonymes à Vindex, rebelle maté en 68, mais elles pourraient aussi avoir été émises par des ateliers itinérants, essentiellement en Hispanie et en Gaule, à des moments où il n’était pas toujours évident de savoir qui était l’empereur.

    Car entre Néron en 68 et Vespasien en 69, Galba, Othon et Vitellius se succédèrent à grande vitesse.

    Plus qu’une année des quatre empereurs, 68-69 furent deux ans de troubles, après lesquels il aura fallu tout le talent de Vespasien pour tourner la page julio-claudienne.

    Partie II : Galba, l’avare, de Tarraconaise à Rome

    M.C.


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    Bibliographie & se faire plaisir

    Bocciarelli, Blet-Lemarquand et Suspène, Les monnaies d’or des années 68-69 p.C. frappées dans les provinces occidentales : l’apport de l’étude pondérale et des analyses élémentaires, Rome et les provinces : monnayage et histoire : mélanges offerts à Michel Amandry, Ausonius Éditions, 2017

    Origine des images

    • Aureus, SALVS GENERIS HVMANI, BNF
    • Brutus, denier, Numismatica Ars Classica Nac Ag, Auction 92, Lot 431
    • Denier, RESTITVTA PR, Ric 24, BNF
    • Denier Ric 72, Roma Numismatics Limited, Auction 8, Lot 949
    • Denier Tic 126, Berlin, Münzkabinett der Staatlichen Museen
    • Avers Mars, Jupiter Capitolin : Berlin, Münzkabinett der Staatlichen Museen
    • Avers Junon Moneta & le Génie du Peuple Romain : Bibliothèque nationale de France
    • Denier ADSERTOR LIBERTATIS, Ric.130, Jean Elsen & Ses Fils S.a., Auction 136, Lot 90
    • Aureus SALVTIS, Ric.134, Numismatica Ars Classica Nac Ag, Auction 125, Lot 641

    5 commentaires sur “L’année des 4 empereurs : Vindex, le rebelle & Civilis le Batave”

    1. La monnaie avec les mains jointes sur les deux faces et la légende FIDES PRAETORIANORVM (La fidélité des prétoriens) ne fait pas référence à la révolte de Vindex mais aux troupes de Germanie qui firent défection à Galba le 2 janvier 69 en acclamant Vitellius et qui demandaient par le biais de cette monnaie l’adhésion des prétoriens qui n’aimaient pas beaucoup l’empereur car il ne leur avait pas versé le donativum promis après sa prise du pouvoir.

    2. Certes. L’idée c’était de montrer les monnaies anonymes de ces années de troubles. Vindex n’est que le point de départ, mais le post aborde surtout les monnaies anonymes de 68-69 et leur message politique. La double dextrarum junctio montrait l’importance de la concorde sur ces années, pas uniquement avec Vindex. Mais merci, nous allons modifier.

    3. Désolé Max, j’avoue que mon commentaire était un peu trop brut. J’aurais déjà du commencer par dire que l’article est très bien et m’a permis de voir que l’aureus SALVTIS n’est « plus » associé à Civilis bien que j’avais lu l’article de Bocciarelli, je n’avais pas fait assez attention. Pour en revenir à mon précédent commentaire, je l’ai écrit pour contribuer et cette monnaie peut sans doute trouver sa place dans la partie II sur Galba. En support, tu peux lire « L’usage des donativa dans les années 68-69 de notre ère » par Quentin Caprio-Saunier.

    4. Pas de soucis. Ton commentaire est utile. Pour Galba, Othon et Vitellius, on écrira plus tard mais j’essaierai d’y glisser ton apport.

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