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PRATIQUER > LES MONNAIES ROMAINES DE A à Z > LES MODULES
Notre part d’enfant aime encore reconnaître les faces nationales de pays voisins ou lointains sur nos euros. Sans doute cela était-il déjà vrai entre Domitien et Marc-Aurèle en Égypte, où circulaient d’intrigantes monnaies figurant différents nomes avec des symboles signifiants, divinités et animaux. Petit retour sur une monnaie provinciale des plus mystérieuse.
Qu’est-ce qu’un Nome ?
Le terme « nome » provient du mot grec νομός (nomós) signifiant « division » ou « district », et également « pâturage ». Ce mot dérive du verbe nemein, signifiant « diviser » ou « mener paître les troupeaux ».
Historiquement, l’Égypte pharaonique était divisée en quarante-deux nomes : vingt-deux pour la Haute-Égypte et vingt pour la Basse-Égypte.
Ce nombre augmenta au fil du temps, atteignant entre 70 et 80 nomes à l’époque de la conquête arabe.
Nous avons adjoint à toutes les illustrations de l’article le numéro correspondant (H+n° pour Haute Égypte et B+ n° pour Basse Égypte) afin de pouvoir retrouver le nome correspondant sur la carte.
Évolution des Nomes
Les nomes étaient des entités administratives subdivisées en toparchies, chacune regroupant plusieurs villes et villages.
Chaque nome possédait une cité principale (qu’on pourrait nommer capitale) qui était le centre administratif et judiciaire, un ou plusieurs sanctuaires et un emblème comme le cobra, le crocodile, le faucon, la gazelle, le sycomore, le dauphin etc…
Les souverains lagides (ptolémaïques) et romains apportèrent des modifications pour répondre aux nécessités administratives et fiscales, ce qui explique les variations du nombre de nomes.
En effet, comme le montrent les documents historiques, comme les papyrus géographiques et les listes des nomes gravées sur les temples, malgré la volonté de conserver les traditions, les souverains lagides durent adapter les nomes pour répondre aux nécessités administratives et fiscales.
Les modifications étaient fréquentes, surtout dans le Delta et le Fayoum, où de nouvelles implantations urbaines étaient créées.
Variation du nombre des Nomes
Les nomes varièrent en nombre au fil des époques, selon les documents rédigés en grec ou en latin. Les listes religieuses traditionnelles en langue égyptienne divergeaient de plus en plus des textes civils et administratifs en langue étrangère.
Avec Claude Ptolémée, qui écrivit vers le milieu du IIe siècle, nous assistons à une innovation importante dans le classement des nomes : la division traditionnelle de l’Égypte en deux grandes régions, Thébaïde et Delta, fait place à une division tripartite :
- Thébaïde,
- Heptanomia,
- et Delta.
Caractéristiques et typologie des monnaies
Les dénominations incluent 4 types de bronzes qui ne sont en principe pas nommés dans la littérature numismatique mais que nous pouvons classer ici, pour plus de simplicité, en drachmes, hémidrachmes, oboles et dioboles :
- des drachmes, 35 mm et 25 /27 grammes
- des hémidrachmes, 28 mm pour 13/15 grammes
- des oboles, 19 mm pour 4/5 grammes
- et des hémioboles, 14 mm et 1, 30 /2,10 grammes
Les émissions de ces monnaies se sont limitées aux principats de Domitien, Trajan, Hadrien et Antonin :
- Domitien : An 11 [91-92 ap. J.-C.]
- Trajan : Ans 12 à 15 et 20 [108-117 ap. J.-C.]
- Hadrien : Ans 5 à 8 et 11 [120-127 ap. J.-C.]
- Antonin et Marc Aurèle César : An 8 [144-145 ap. J.-C.]
Les émissions de Domitien sont uniquement constituées d’hémidrachmes, celles de Trajan, d’Hadrien (ans VII – VIII) et d’Antonin de drachmes.
En revanche l’émission d’Hadrien datée de l’an XI marque une rupture avec la frappe de deux petites dénominations : l’obole et l’hémiobole.
Grand modules
De manière générale, les grands modules représentent au droit le portrait de l’empereur régnant, accompagné d’une titulature plus ou moins complète – en grec, comme il se doit pour des émissions « orientales », le buste, lauré, orienté à droite ou à gauche.
Le revers, quant à lui, présente la divinité tutélaire du nome, sous forme humaine (avec ou non une tête d’animal selon la divinité représentée), mais souvent (pas toujours) accompagnée de l’animal qui lui est associé, soit à ses pieds, soit dans sa main.
Le nom du nome figure en grec et sous forme abrégée, ainsi que la marque de l’année régnale égyptienne (L xx)
Petits modules
Les petits modules ont, au droit, le portrait de l’empereur sans légende (faute de place) et au revers souvent l’animal associé au dieu principal du nome, avec la marque de l’année régnale égyptienne.
Le mystère des monnaies des Nomes
La raison exacte pour laquelle ces monnaies furent émises reste sujette à débat.
Michel Amandry, dans son article « à propos du monnayage coptite » (2002), mentionne diverses hypothèses, telles que des frappes commémoratives ou des flatteries envers les nomes les plus riches.
Jean-Claude Grenier constate, lui, que ces émissions surviennent tous les 20 ans si on calcule leur rythme en décomptant les années de règne de chacun des empereurs concernés. Selon lui, s’il fut décidé à cette époque l’inventaire précis des domaines impériaux afin de mieux réglementer leur exploitation [et que] cette mesure concerna l’Égypte au premier chef, les monnaies des nomes pourraient donc célébrer la terre d’Égypte par mise à jour périodique de sa mise en valeur.
Mais selon Amandry, « cette explication, aussi séduisante soit-elle, se heurte à quelques difficultés : le cycle fixe de 20 ans n’est obtenu que par quelques acrobaties de calcul ; les émissions isolées trouvent difficilement leur place dans cette démonstration. Mais à défaut d’une meilleure explication, acceptons pour l’instant celle-ci « .
Aire de Circulation
Ces monnaies circulaient dans toute la province d’Égypte, sans lien direct avec le nome représenté sur la monnaie.
Elles étaient frappées à Alexandrie et distribuées à travers tout le pays, renforçant ainsi leur rôle commémoratif plutôt que pratique.
il ne s’agit donc en aucun cas de productions locales destinées à renouveler le numéraire en usage sur place, mais bien d’émissions commémoratives frappées à Alexandrie pour la province d’Égypte en général, quel que soit le nome où les monnaies sont ensuite amenées à circuler.
C’est bien pour cela qu’il ne faudrait plus employer le vocable de « Monnaies des nomes », qui peut prêter à confusion, mais, comme le suggère le titre de cet article « Monnaies au nom des nomes de l’Égypte ».
Article écrit avec la complicité amicale de Jean R.
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La numismatique des Nomes : Littérature
L’intérêt pour les monnaies associées aux nomes remonte aux débuts de l’égyptologie. Joseph Pellerin et Georg Zoega, dès 1763, reconnaissaient leur spécificité, bien qu’ils pensaient qu’elles n’étaient pas autonomes mais issues d’un atelier central. Joseph Eckel, en 1794, leur consacra un chapitre spécial, les nommant « Gaumünzen ».
Les premières études approfondies datent du début du XIXe siècle, avec des publications comme « Les monnaies des nomes d’Égypte » de Joseph-François Tôchon d’Annecy en 1822, et « Numismatique des nomes d’Égypte » de Victor Langlois en 1852.
Aujourd’hui, les ouvrages de référence incluent des titres en plusieurs langues, tels que « Die Alexandrinischen Gaumünzen der Römischen Kaiserzeit » (Weber & Geißen, 2013 – Lien affilié) et « Coins of Alexandria and the Nomes » (Christiansen, 1991 – lien affilié).
Sources
- Jean ROUGEMONT, Les monnaies aux noms des nomes de l’Egypte, Conférence ADR, Octobre 2023
- Les nomes, sur https://antikforever.com/nomes/
Origine des images
- Domitien, Herakleopolites, année 11, RPC II online, n° 2771
- Trajan, Arsinoite, RPC III online, n° 6292
- Hadrien, obole, RPC III, 6331
- Hadrien, hémiobole, RPC III, 6321
- Antonin le Pieu, Drachme, an H = 8, RPC III online, volume: IV.4 n° 774
- Hadrien, Dichalque, RPC III online, n° 6297
- Marc Aurèle, drachme, RPC online IV.4, 872