
Lyon : un grand atelier ?
En train de préparer un article de Blog sur les arnaques en numismatique depuis quelques semaines (à paraître donc !) et revenant de la bourse de Saint- Just-en-Chevalet (42130), en tant que bon stéphanois (d’origine), je ne fis pas escale à Lyon. Il eut fallu que je ne le fusse pas pour que je passasse par là bas.
Mais cela ne m’empêcha pas, en roulant aux abords de cette magnifique ville, de philosopher sur la grandeur de cette cité au temps de Rome : Lyon fut-il un grand atelier ?
Que mes clients stéphanois ne pensent pas que cet article soit celui sur les arnaques, mais la réponse est OUI : l’atelier de Lyon a été un des plus productifs (de 43 av. J-C. jusqu’à 413 ap. J-C. malgré quelques périodes d’interruption), un des plus intéressants et un des plus variés de toute l’époque romaine !
Bref, Lyon a été à Rome ce que l’ASSE est au football français !
Observer ce seul atelier peut nourrir la réflexion sur l’ensemble du phénomène monétaire de l’époque.
Les aureliani de 285 à 294 : des monnaies variées et de qualité !
Lorsque Dioclétien récupère l’atelier de Lyon, après la défaite de Carin/Carinus, en 285, il est seul maître de l’Empire romain. Il se place dans les traces de son prédécesseur et ses premières monnaies ressemblent à celles de la dynastie précédente (fig. 1a & 1b). L’épaule marquée, la bouche avec un petit sourire crispé, le revers et son style, sont dans la lignée de ce qui se faisait avant. Ce qui est logique, la même équipe ayant sans doute poursuivi. Notons qu’au début la légende ne porte que AVG, au singulier, car il est seul empereur.


L’arrivée d’Hercule !
Cependant Dioclétien cherche à mettre fin à la valse des souverains du IIIe siècle, due à l’insécurité des frontières, menacées sur plusieurs fronts. Aussi s’adjoint-il vite Maximien (-Hercule, en raison de sa force dénuée de finesse) comme co-Auguste (à priori sans passer par le stade César ! chanceux, va !). Ce dernier apparaît, avec déjà le titre suprême, dès la 2e émission en 286.
Dès lors les monnaies portent la légende AVGG (augustorum, pluriel, fig. 2 ). D’ailleurs l’usurpateur Carausius à la même période fait figurer sur ses monnaies AVGGG avec 3 G comme s’il y avait 3 augustes puisqu’il a essayé d’être connu par les deux autres (fig. 3) [ce qui est une aberration épigraphique, mais ceci est un autre débat !]

Ainsi, chacun se place sous la protection d’un dieu : Jupiter pour Dioclétien (fig. 4) et Hercule pour Maximien (fig. 5), preuve de la supériorité théorique du premier sur le second :
Dieu, père du demi-dieu


Auréliani, méthode Coué et compagnie
Les aureliani (appelés abusivement antoniniens) des autres ateliers peuvent continuer à porter à l’exergue la marque de valeur XXI (sujette à débat, certains l’attribuant à la proportion d’argent contenue dans l’alliage de billon dont est constituée la pièce) mais l’atelier lyonnais n’en fait jamais usage. On trouve au début des marques d’officine à l’exergue ou dans le champ (lettres d’ailleurs souvent rétrogrades ), et il faut attendre la 4e émission (287) pour qu’une marque d’exergue SML (Sacra Moneta Lugdunum) apparaisse (fig. 6).

On fait célébrer la Paix (PAX AVGG), ou Hercule Pacificateur (Herculi Pacifero) permise par la concorde des Augustes. Alors qu’en Gaule et en Bretagne Carausius fait des siennes : LA méthode Coué – les politiques du XXIe siècle n’ont rien inventé !!!
Les monnaies sont souvent bien argentées et il a même été tenté de refrapper des flans de billon blanc (fig. 7).

Le style des revers met souvent en scène des figures allégoriques seules (PROVIDENTIA, SECVRITAS (fig. 8) COMES, VICTORIA, PAX, SALVS (fig.9)…etc. Beaucoup plus rarement plusieurs ( Hercule et le lion de Némée, CONCORDIA…). Les bustes sont variés : militaires (fig. 10), consulaires ou autres.



Iconographie monétaire
L’iconographie des revers est beaucoup plus originale que dans les autres ateliers, en particulier orientaux, qui utilisent plus largement les compositions symétriques (CONCORDIA AVGG), même si au fil des émissions PAX, SALVS, IOVI AVGG et HERCVLI PACIFERO s’imposent par leur fréquence.
Le style et le ductus (façon de former les lettres, encore un mot de plus dans votre vocabulaire grâce à Bnumis !) sont assez reconnaissables : le portrait est fin, naturaliste (Maximien y a souvent son petit nez retroussé) et les bustes variés (casqué, consulaire…). Les lettres sont bien formées sauf les M, A ou R qui ne sont jamais bien fermés.
En mars 293, satisfait du fonctionnement de ce duumvirat, Dioclétien le développa : chaque Auguste se choisit un nouveau César, chargé de le seconder.
Les deux généraux choisis furent Galère par Dioclétien, et Constance Chlore par Maximien.
La naissance du nummus !
L’atelier de Lyon est un des plus actif et varié jusqu’à la réforme monétaire de 294, où virent le jour les nummi (plur. de nummus, appelés abusivement follis (plur. de folles), quand Dioclétien (et Maximien ne l’oublions pas !) voulurent réintroduire des grands modules de bronze argenté, autour du type très standardisé du GENIO POPVLI ROMANI, afin de faire renaître dans l’Empire le sentiment d’appartenance à un « génie du peuple romain ».
À partir de 299, le revers peut être agrémenté d’un autel (fig. 11). On ne connait en revanche pas d’emploi d’autres types (comme SACRA MONETA ou FIDES MILITVM, comme dans d’autres ateliers occidentaux… il faudrait un jour essayer de comprendre pourquoi).

Le ductus (oui, encore lui !) se poursuit avec les mêmes caractéristiques, mais le style évolue : il devient moins réaliste. Les portraits sont plus « graphiques », avec un trait de contour marqué, en particulier pour le nez et les yeux. Les bustes, sans doute plus souvent qu’ailleurs, sont parfois orientés à gauche et agrémentés d’une lance sur l’épaule (fig. 12). Le style est très particulier et facilement reconnaissable.

Comme ailleurs à la même époque, cela change en 305, avec la retraite de Dioclétien et Maximien (retraite forcée pour ce dernier) : les émissions honorifiques pour les augustes seniores sont très différentes, d’avers comme de revers (fig. 13) , et les figures du Genius sont désormais drapées sur les hanches au lieu des épaules (fig. 14).


Lyon, un grand atelier !
Pendant 20 ans, cet atelier fut un grand centre monétaire, pour tout l’Occident (production, mais aussi transfert de graveurs, vers Trèves puis Londres), d’une grande diversité avant 294, d’une grande uniformité après, alimentant toute l’Europe occidentale, relayé en cours de route par Trèves qui devint une résidence impériale pratique car plus près du Rhin et qui supplanta Lyon comme principal atelier monétaire occidental.
Pour aller plus loin, l’étude de P. Bastien est formidable en rigueur et en volume. Il faudrait maintenant pouvoir disposer de sommes similaires pour les autres ateliers afin que la numismatique puisse prendre part à une histoire de la Tétrarchie qui réserve encore beaucoup de terrains de recherche.
Article de blog écrit avec la complicité amicale de Prof Cambreling
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Bonjour,
Très intéressant article sur ma période de prédilection..!!
La seule chose qui fait encore débat, c’est l’élévation au césariat, puis à l’augustat de Maximien par Dioclétien….
On ne sait pas encore vraiment si les 2 élévations furent simultanées ou successives, ou si il fut nommé directement auguste, en tout cas, il n’existe pas de monnaie pour Maximien Hercule avec une titulature de césar, ce qui tend à prouver que les 2 promotions furent à minima dans un timing très court, rendant ridicule ou voire vexatoire, l’émission de tels avers et titulatures …
On pourrait aussi plutôt penser à la lecture des textes et évènements connus, que l’élévation des 2 césars Constance Chlore et Galère Maximien, est plutôt le reflet d’un certain échec de la diarchie et échec personnel de Maximien pour rétablir l’ordre au nord de l’empire, et mater les incursions germaniques, les pirates et l’imposture de Carausius….
Constance Chlore en revanche ne décevra pas ses augustes, finissant avec de l’ardeur, mais aussi de la préparation et de la stratégie, par rétablir la domination des souverains légitimes sur tout le nord de la Gaule puis sur la Bretagne…
L’atelier de Lyon fut de toute évidence, pour ces 2 périodes monétaires que constituent la Diarchie, puis la Tétrarchie, avec la réforme de 294 et la création du follis, un atelier très prolixe en variétés de revers et avers, bien plus que dans tout autre atelier de la même période…
Merci pour ce commentaire très intéressant Ô grand Brutus 🙂