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Trajan Dèce : L’empereur au retour des valeurs conservatrices
Caïus Messius Quintus Decius, plus connu sous le nom de Trajan Dèce, fut un fervent admirateur de l’empereur Trajan, célèbre pour avoir mené l’Empire romain à son apogée.
Dès son accession au pouvoir en 249 apr. J.-C., Dèce choisit de se rattacher à cette figure emblématique en adoptant le nom de Trajan.
Son règne, bien que bref, est marqué par des tentatives pour réunifier l’Empire face aux invasions barbares, notamment le péril goth, tout en restaurant les valeurs et traditions du passé romain.
Un règne conservateur et la restauration des traditions
Durant son règne, de septembre 249 à juin/juillet 251 apr. J.-C., Trajan Dèce met en avant un programme conservateur, cherchant à rétablir les traditions religieuses romaines, fonder une nouvelle dynastie, et restaurer le prestige de la capitale.
C’est dans ce contexte qu’il décide d’honorer, par l’émission de monnaies, les « bons » empereurs du passé, ceux qui avaient marqué de leur empreinte l’histoire de Rome.
Ce sont les fameuses monnaies de la série des Divi.
Origines et ascension de Trajan Dèce
Né en 201 apr. J.-C. près de Sirmium en Pannonie, Dèce est issu d’une famille sénatoriale.
Son cursus politique avant l’accession au trône reste flou, bien que certaines sources le mentionnent comme gouverneur de la Mésie inférieure sous Alexandre Sévère et gouverneur d’Hispanie sous Maximin le Thrace.
En 245, Philippe l’Arabe le nomme préfet de la ville de Rome, l’une des plus hautes fonctions accessibles à un sénateur. Cependant, les troubles dans l’Empire poussent Philippe à confier à Dèce le commandement d’une armée chargée de rétablir l’ordre sur le Danube et de repousser les invasions gothiques.
L’acclamation par les troupes et l’affrontement inévitable
Lors de sa campagne, après l’assassinat de l’usurpateur Pacatien, les troupes de Dèce l’acclament empereur, un rôle qu’il n’accepte qu’à contrecœur pour éviter d’être exécuté.
Cette situation l’amène à entrer en conflit avec Philippe l’Arabe, et la bataille décisive a lieu près de Vérone, où Dèce l’emporte. Pendant ce temps, Philippe II, le fils de Philippe l’Arabe, est tué à Rome, consolidant la position de Dèce.
Les réformes conservatrices de Trajan Dèce
Une fois au pouvoir, Trajan Dèce met en place plusieurs mesures symboliques pour restaurer les valeurs traditionnelles romaines :
- Le culte impérial, de facultatif est devenu obligatoire. La conséquence la plus visible et la plus connue avec une lecture contemporaine de l’histoire en fut la persécution des chrétiens.
- La tentative de fonder une nouvelle dynastie, à l’instar des Antonins ou des Sévères, en associant rapidement ses deux fils au pouvoir suprême.
- La mise en avant des valeurs du Ier siècle comme Pudicitia (la pudeur) ou Pietas (la piété).
- La restauration de l’autorité centrale de Rome sur les provinces de l’Empire au premier rang desquelles figure la Dacie, où l’Empereur a pu s’illustrer.
Innovations numismatiques sous Trajan Dèce
Son règne est également marqué par des réformes importantes sur le plan monétaire. L’antoninien, principale monnaie en circulation, voit son titre d’argent se dégrader progressivement. En réponse à cela, Dèce introduit le double sesterce et rétablit le semis de bronze, une tentative de redonner une certaine légitimité à la monnaie de bronze, essentielle aux échanges commerciaux.
La chute de Trajan Dèce
Trajan Dèce et son fils Herennius Etruscus périssent en juin ou juillet 251 apr. J.-C., lors de la bataille d’Abrittus contre les Goths menés par leur chef Cniva. Cette défaite marque la fin de ses ambitions de restaurer les valeurs traditionnelles de l’Empire.
La série des Divi : Un hommage aux empereurs défunts
La série des Divi, frappée sous Trajan Dèce, se compose exclusivement d’antoniniens.
Cette monnaie, introduite par Caracalla lors de sa réforme monétaire de 215 apr. J.-C., est reconnaissable au portrait radié de l’empereur ou, dans le cas des impératrices, à un croissant sous le buste.
Sa valeur initiale équivalait à deux deniers, avec une teneur en argent d’une fois et demie celle du denier. Rapidement, l’antoninien devient la monnaie la plus utilisée dans l’Empire romain, supplantant les autres dénominations.
Après le règne de Gordien III, le denier est quasiment abandonné, tandis que le bronze devient rare en raison de son coût de production élevé par rapport à sa valeur intrinsèque.
Les empereurs honorés dans la série
Onze empereurs sont représentés dans cette série de monnaies :
- Auguste
- Vespasien
- Titus
- Nerva
- Trajan
- Hadrien
- Antonin le Pieux
- Marc Aurèle
- Commode
- Septime Sévère
- Alexandre Sévère
La présence de Commode peut surprendre, car il avait été frappé d’une damnatio memoriæ (condamnation de sa mémoire) après sa mort. Cependant, Septime Sévère, qui revendiquait une filiation avec Marc Aurèle, avait fait consacrer Commode en 197 apr. J.-C. pour des raisons dynastiques. À l’inverse, Claude et Tibère, considérés aujourd’hui comme de « bons » empereurs, sont absents de cette série, soulignant la complexité du jugement porté sur les figures historiques à travers les âges.
Les caractéristiques des antoniniens des Divi
Les monnaies de la série des Divi sont relativement stéréotypées. Seuls six types de bustes différents sont utilisés sur l’avers. La légende est courte et exprimée au datif, comme par exemple « DIVO SEVERO » (Au divin Sévère) pour Septime Sévère.
Pour les revers, deux types principaux sont observés :
- Un aigle aux ailes déployées, figurant sur environ un tiers des monnaies.
- Un autel funéraire allumé, présent sur environ deux tiers des exemplaires.
Dans tous les cas, la légende du revers se limite à CONSECRATIO, indiquant la consécration des empereurs défunts.
Des monnaies sans signature de l’émetteur
Curieusement, ces monnaies ne comportent ni à l’avers ni au revers de mention de l’autorité émettrice, contrairement aux émissions de restauration habituelles qui incluent des éléments identifiant l’empereur frappant la monnaie.
Cependant, en 250-251 apr. J.-C., seule l’émission d’antoniniens était courante, rendant impossible la reproduction exacte des anciennes monnaies laurées (deniers).
Le choix de la couronne radiée, symbole de la consécration des empereurs défunts, était donc une solution logique pour ces antoniniens dédiés aux empereurs divinisés.
Rareté et proportions des types dans la série des Divi
Les empereurs de la série des Divi ne sont pas représentés en quantités égales.
Antonin le Pieux (18,73 %), Trajan (14,21 %) et Sévère Alexandre (10,83 %) sont les plus présents, ce qui peut s’expliquer par l’admiration que Trajan Dèce portait à ces figures, notamment Trajan.
À l’inverse, des empereurs comme Nerva (4,98 %), Hadrien (3,10 %), Marc Aurèle (3,18 %) et Septime Sévère (3,78 %) sont beaucoup plus rares.
La question se pose : est-ce que cette disparité était déjà présente à l’origine lors de la frappe ou résulte-t-elle d’un retrait progressif de certaines monnaies ? Les études portant sur le nombre de coins utilisés pour chaque empereur suggèrent que la première hypothèse, celle d’une production différenciée, est la plus probable.
Datation de la série des Divi
Pendant longtemps, les auteurs ont daté ces émissions de manière floue, les situant parfois du règne de Philippe l’Arabe jusqu’à celui de Gallien.
Les célébrations du millénaire de Rome en 248 apr. J.-C. sous Philippe furent l’occasion d’émissions monétaires spéciales, ce qui a conduit certains à les associer aux Divi.
Cependant, l’approche plus technique basée sur le poids des exemplaires tend à situer ces émissions sous Trajan Dèce.
Joaquim Blay, dans son étude sur la série des Divi, a analysé plus de 1000 exemplaires et rapporté une moyenne de poids de 3,78 g. Cette donnée s’aligne avec l’effritement progressif du poids et du titre des antoniniens tout au long du IIIe siècle. Sous Philippe l’Arabe, l’antoninien pesait environ 4,12 g. avec un titre de 47,07 % d’argent fin ; sous Trajan Dèce, ces chiffres étaient tombés à 3,97 g. et 41,12 % ; et sous Trébonien Galle, à 3,46 g. pour 35,94 % d’argent fin.
Surfrappes et hybridations
Les trésors archéologiques apportent des informations cruciales pour comprendre ces monnaies. Le trésor de Dorchester contient des exemplaires montrant des traces de surfrappes, notamment un antoninien honorant Auguste sur lequel apparaît une partie de la légende d’un denier de Caracalla.
Curtis Clay a également signalé un antoninien de Nerva surfrappé sur une monnaie de Caracalla dans sa collection personnelle. Ces découvertes confirment que les émissions de la série des Divi comprenaient des deniers plus anciens qui furent refondus pour produire des antoniniens.
Les surfrappes massives commencèrent avant la mort de Trajan Dèce en 251 apr. J.-C., motivées par le besoin de numéraire pour financer la guerre contre les Goths sur le Danube. Le trésor de Plevna, par exemple, ne contient aucune monnaie tardive du règne de Trajan Dèce, suggérant un enfouissement vers janvier 251. Ce trésor contient cependant deux exemplaires de la série des Divi, ce qui indique que ces monnaies étaient en circulation à cette époque.
Prolongation des frappes après Trajan Dèce
Bien que les émissions principales aient commencé sous Trajan Dèce, des frappes supplémentaires eurent lieu après sa disparition, durant les règnes de Trébonien Galle et de Volusien, comme en témoignent, grace à des liaison de coins, les hybrides Divi/Trébonien ou Divi/Volusien trouvés sur certains revers tels que IVNONI MARTIALI.
Lieu d’émission : Rome ou Milan ?
Le lieu d’émission des antoniniens des Divi a longtemps été attribué à Milan, mais les études récentes sur les liaisons de coins tendent à prouver que ces monnaies furent frappées à Rome.
Les analyses montrent que des coins de revers furent fréquemment utilisés pour plusieurs empereurs, et un même coin d’avers pouvait être associé à différents types de revers, suggérant un unique atelier de frappe. Jérôme Mairat a proposé une répartition en six officines, avec la première frappant les monnaies de Trajan et les autres répartissant les empereurs restants. Toutefois, l’étude exhaustive de Joaquim Blay semble appuyer l’idée d’un unique atelier de frappe à Rome.
Article issu d’un livre inachevé, qui ne rentrera pas au panthéon de la littérature numismatique, par Jean-Claude Laurin et votre serviteur.
Catalogue
A venir : on attend vos images pour étoffer !
Bibliographie
- Blay Detrell J., “DIVI SERIES”,Una Emisión Conmemorativa de Antoninianos de Restitución del Siglo III d.C. Gaceta Numismática 165, Barcelone, 2007, pp.69-82.
- Mattingly H., Sydenham E. A. et coll., Roman Imperial Coinage Vol. IV. Part 3, Londres, 1923-1994.
- Mattingly, H., The coins of the « DIVI », issued by Trajan Decius, p-p 75-82, Numismatic Chronicle, 1949
- Cohen H., Description historique des monnaies frappées sous l’Empire romain, Seconde édition. Paris, 1880-1892.
- Sear D., Roman coins and their values, Vol III. Spink 2005
- Zosso F., Zingg C., Les Empereurs romains 27 av. J.-C. – 476 apr. J.-C., Editions Errance, 1994
Origine des images
- Pacatien, Numismatica Ars Classica, Auction 62, Lot 206
- Sesterce Pannonie, Numismatica Ars Classica, Auction 98, Lot 1368
- Aureus Etruscus, Numismatica Ars Classica, Auction 80, Lot 193
- Antoninien dacia Numismatica Ars Classica, Auction 106, Lot 774
- Double sesterce Numismatica Ars Classica, Auction 100, Lot 575,
- Jeux séculaire lion, Numismatica Ars Classica, Auction 131, Lot 84
Une fois de plus article très complet Des ressources et les sources!
Bravo. BRAVISSIMO!
Toujours aussi intéressant. Merci Cédric.
Bel article mon Ikos !
Merci pour cette leçon !
Comme toujours,de superbes articles bien documentés.Merci