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PRATIQUER > LA MONNAIE PAR LES THÈMES
Parmi les monuments antiques les plus connus figurent des colonnes honorifiques qui naissent sous la République. Ce sera le premier monument figuré sur une monnaie romaine. Sous l’Empire Octave-Auguste fait représenter des colonnes rostrales. Elles sont ornées de proues de navires (des rostres) pris à l’ennemi mais les plus célèbres naissent plus tard, ce sont celles de Trajan et Antonin.
On mesure alors combien ces images combinent des détails précis mais donnent une image d’ensemble éloignées de ce qu’on peut observer aujourd’hui.
Avant propos
Si des bâtiments « projetés » (planifiés mais pas encore construits) étaient représentés sur les monnaies sous Auguste, il en est tout autrement à l’époque de Trajan où seules des structures achevées et dédiées y étaient représentées. Certains éléments suggèrent que le règne de Vespasien a été une transition.
On peut donc voir, sur les monnaies romaines, des monuments :
- en projet d’être construits (planifiés),
- construits
- et enfin des monuments symboliques et représentatifs.
Ainsi, par exemple, au début du règne de Claude, des monnaies célébrant sa victoire sur les Germains représentant un arc de triomphe sont frappées avant qu’il n’ait pu être construit dans la réalité.
À Rome, les colonnes sont légion (colonnes des Tétrarques, colonne de Claude II, colonne rostrale de Caius Duilius, colonne du père de la patrie, colonne Phocas ….).
Ne pouvant évidemment pas faire l’inventaire de toutes les colonnes qui apparaissent sur les monnaies romaines dans un simple article, je me bornerai ici aux colonnes les plus importantes ou/et célèbres du monde romain, les plus célèbres étant indubitablement celles de Trajan et Antonin (celle de Marc-Aurèle n’ayant pas eu les honneurs de la monnaie).
La Columna Minucia
Sous la République, la représentation de colonnes sur les monnaies est assez fréquente.
On peut noter par exemple cette colonne, appartenant au forum et qui apparait à l’arrière-plan, sur un denier de L·CENSOR (RRC 363/1).
Mais la première colonne (et peut être même le premier monument) apparaissant sur des monnaies romaines semble être la Colonne Minucia qui a été construite pour honorer L. Minucius Augurinus, responsable des approvisionnements en nourriture en 439 av. J.-C.
Erigée sur ordre du peuple et financée par des dons populaires, cette colonne se tenait à l’extérieur de la porta Trigemina et était ornée d’une statue avec des épis de blé et deux autres statues près de sa base. Le personnage de gauche tient une coupe évasée (patère) et celui de droite, voilé, un lituus (bâton augural).
Il pourraient s’agir des frères Marcus Minucius Fæstus et Lucius ou Publius Minucius Augurinus qui ont participé à la reconnaissance posthume du rôle joué par l’un de leurs ancêtres lors d’une grave famine en 439 avant JC (Lucius Minucius Augurinus).
Il est probable que ce soit le même monument mentionné ailleurs dans l’œuvre de Pline, où une histoire similaire est racontée mais avec une statue plutôt qu’une colonne. Aussi le « bos aurata » (« bœuf doré »), dont parle Tite-Live, érigé en l’honneur de Minucius près de la porta Trigemina, faisait probablement partie de ce même monument.
La colonne rostrale d’Octave
Columna Rostrata Augusti
Cette colonne, érigée vers 36 av. J.-C., commémore la victoire d’Octave sur Sextus Pompée.
Pompée, en tant qu’opposant au Second Triumvirat et membre du parti républicain, se livre à des actes de piraterie, notamment en interceptant la flotte de ravitaillement en blé destinée à Rome. Parvenant à réunir une flotte conséquente, il conquiert la Corse-Sardaigne et la Sicile en 41 av. J.-C., mais il est battu par Octave, et la flotte d’Agrippa, lors de la bataille de Nauloque 5 ans plus tard en 36.
C’est cette victoire que cette colonne commémore. Elle est ornée des proues de navires pris à l’ennemi. Ces proues de navire portent le nom de rostres, d’où le nom de la colonne dite « rostrale ».
Selon Servius ( grammairien païen de la fin du IVe siècle) la colonne elle-même aurait été construite à partir des éperons fondus de navires.
Elle est figurée surmontée d’une statue d’Octave simplement vêtu d’un manteau et tenant une lance.
Cette même colonne apparait aussi plus tard sur des monnaies au nom de Titus mais la tête de la statue est radiée suite à un ajout ultérieur (en raison de la divinisation d’Auguste ?).
Autres colonnes construites sous Auguste
Cinq ans plus tard, une colonne semblable est construite devant le tempe d’Apollon sur le Palatin. Cette fois, elle commémore la bataille navale d’Actium en 31 av. J.-C., où Octave (futur Auguste) remporte une victoire décisive contre Marc-Antoine et Cléopâtre, symbolisant la suprématie navale romaine.
Cette victoire a assuré la domination d’Octave sur l’ensemble du monde méditerranéen, marquant ainsi la fin de la République romaine et le début de l’Empire romain.
La colonne trajane
La colonne trajane est érigée entre 113 et 117 de notre ère, sous le règne de l’empereur Trajan, pour commémorer ses victoires militaires en Dacie (l’actuelle Roumanie) lors des guerres daciques.
Réalisée par l’architecte Apollodore de Damas sur le forum de Trajan à Rome, elle porte une frise qui s’enroule autour d’elle et montre les épisodes des guerres daciques sur ses 184 parties. Elle mesure 39,80 mètres de haut et 3,80 de diamètre.
Elle est constituée d’un fût de marbre sculpté en spirale sur lequel sont représentées les campagnes militaires de Trajan contre les Daces.
À l’origine, la colonne était surmontée d’une statue de l’empereur Trajan, mais celle-ci a été remplacée au Moyen Âge par une statue de Saint-Pierre (saint Paul ?).
Les bas-reliefs décrivent en détail les batailles, les scènes de vie quotidienne et les rituels religieux de l’époque. Ils offrent ainsi une précieuse source d’information sur l’armée romaine et la vie dans l’Empire à cette période.
Elle était encadrée de deux bibliothèques, une grecque et l’autre latine. La fresque de pierre qui se déroule sur plus de 100 mètres pouvait y être admiré depuis les étages des deux bâtiments. Les reliefs étaient également peints, ce qui facilitait leur lecture.
Malgré quelques dommages et restaurations au fil des siècles, la colonne trajane demeure l’un des monuments les plus impressionnants de Rome et un témoignage fascinant de l’histoire de l’Empire romain.
On notera que quelques exemplaires (6, dont 1 à Vienne et 1 à Paris) sont décrit avec un oiseau au sommet à la place de la statue de Trajan.
Si cela avait pu être un exemple de monnaies représentant un monument planifié (avec l’oiseau) et une monnaie figurant un monument construit (avec la statue de Trajan), il n’en est rien car les exemplaires à l’oiseau semblent tous être des monnaies regravées à une époque moderne.
La colonne antonine
La colonne antonine a été érigée par les héritiers et successeurs d’Antonin le Pieux : les empereurs Marc Aurèle et Lucius Verus.
Elle a été achevée en 161 à proximité de l’ustrinum d’Antonin le Pieux (enceinte destinée à la crémation). Elle mesure environ 14,75 mètres de haut et est surmontée d’une statue de l’empereur Antonin le Pieux.
Sur le socle, une cérémonie de triomphe de l’empereur et de son épouse, Faustine est représentée.
Ils sont accompagnés de deux aigles, portés vers le ciel par un génie ailé
La déesse Rome et la personnification du Champ de Mars assistent à la scène, ce dernier soutenant l’obélisque d’Auguste.
Sur les côtés, des parades de cavaliers lors de funérailles impériales sont dépeintes. Contrairement aux colonnes historiées de Trajan et Marc Aurèle, la Colonne d’Antonin le Pieux se distingue par son fût lisse en granite rose égyptien (extrait en 106, d’après une inscription de carrier située à la base).
Si des fragments des bas-reliefs sont conservés dans différents musées, malheureusement, la colonne d’Antonin le Pieux a été démontée au Moyen Âge, et la statue de l’empereur a été perdue. Actuellement, seule la base de la colonne est visible sur la place Montecitorio.
En guise de conclusion
S’il nous reste seulement les monnaies pour permettre d’imaginer et reconstruire mentalement les édifices disparus comme la colonne antonine, il faut savoir garder en tête que sur les monnaies le réalisme absolu n’était pas toujours nécessaire.
Parfois certaines proportions sont modifiées, d’autres fois certains détails disparaissent ou sont ajoutés.
Si ces altérations du réalisme sont par moment le résultat d’une action indépendante ou inconsciente de l’artiste, la plupart du temps cela était dû au message qu’était censé indiquer la monnaie. Le fond primait sur la forme.
Quel était le message qui devait être communiqué lors de la frappe ? Quel en était l’objectif ?
On peut alors se poser une question légitime : si la colonne trajane avait entièrement disparu, de quelle façon pourrions-nous retracer son apparence à partir de simples monnaies aussi différentes les unes des autres ?
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Bibliographie
- Hill, Monuments of Ancient Rome As Coin Types, Seaby, 1989
- Martin Beckmann, Buildings on Coins
- Samuel Ball Platner (as completed and revised by Thomas Ashby, A Topographical Dictionary of Ancient Rome, London: Oxford University Press, 1929
Origine des images
- Claude, Aureus, Numismatica Ars Classica, Auction 24, Lot 27
- Denier Censor, RRC 363/1, British Museum n° 2002,0102.3045
- Denier Minucia – Caius Minucius Augurinus, Gallica, BNF
- Auguste, denier, American Numismatic Society, 1937.158.448
- Titus aureus, Numismatica Ars Classica, Auction 114, Lot 651
- Denier de Trajan avec colonne Trajane, Dr. Busso Peus Nachfolger, Auction 431, Lot 3448
- Colonne trajane avec oiseau, montage issue d’image de l’article de Martin Beckmann, Buildings on Coins (exemplaire de Vienne).
- Sesterce avec colonne d’Antonin le pieux, Elsen, Auction 109, lot 354.
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