Temps de lecture : 7 mn
SE PERFECTIONNER > LA FABRICATION DES MONNAIES DE A à Z
Quand on commence à s’intéresser aux monnaies romaines, leur forme interpelle. Ce n’est pas bien circulaire. On se demande comment c’est fait. On comprend les grandes lignes, mais c’est surtout en voyant les (nombreux) exemplaires avec un défaut de fabrication qu’on saisit réellement. On ressent alors l’atelier, les ouvriers, et les inévitables accidents d’une frappe manuelle.
Si les erreurs les plus recherchées sont les frappes incuses, la double frappe est le plus courant des accidents de frappe. Mais il arrive aussi qu’on reste perplexe, interdit, face à des résultats qui restent encore difficiles à concevoir. On n’est pas loin d’une rêverie poétique en essayant d’imaginer la scène à l’origine d’un « flip-flop ».
Ce post se propose d’essayer de vous expliquer, images à l’appui, comment ça a pu se produire.
Rappel du processus de fabrication d’une monnaie frappée
Après la gravure des matrices monétaires (appelées « coins ») par les graveurs (scalptores) et la préparation des flan par les maleatores, nous parvenons à l’étape finale du processus, celle de la frappe monétaire proprement dite. Depuis l’Antiquité, cette opération s’effectue manuellement à l’aide de puissants coups de marteau !
Le disque de métal lisse destiné à devenir une pièce de monnaie est désigné sous le nom de « flan ». Un monnayeur, ouvrier hautement spécialisé dans cet art, positionne ce flan sur un premier coin, solidement encastré dans un billot ou une enclume, et portant en relief le dessin qui apparaîtra sur l’une des faces de la pièce.
Un second coin, fermement tenu, est ensuite placé sur le flan. Ce second coin comporte l’empreinte du dessin de l’autre face de la pièce.
D’un geste assuré, le monnayeur maintient l’ensemble d’une main (ou d’une pince) tout en délivrant un puissant coup de marteau de l’autre (d’où l’expression « frapper monnaie » ou « battre monnaie ») avec une force suffisante pour marquer les motifs des deux côtés simultanément…
Et voilà la pièce prête !
Si vous voulez en savoir un peu plus, vous pouvez consulter l’article dédié à la fabrication de la monnaie.
Tréflage, Frappe double ou multiple & Flip Flop
La plupart des monnaies antiques nécessitaient deux coups de marteau ou plus pour obtenir une frappe satisfaisante.
Si normalement les matrices ne bougent pas lors des frappes successives il arrive que le flan se déplace.
Le résultat peut prendre alors différentes formes, chacune avec ses caractéristiques propres.
Tréflage
Le tréflage est le résultat de la double frappe d’une monnaie dû a un mauvais placement ou à un un léger déplacement du flan par rapport aux coins.
Lorsque la pièce est frappée une deuxième fois, les détails de la première frappe apparaissent en arrière-plan.
Ce phénomène donne naissance à une image légèrement en double sur la pièce de monnaie, caractérisée par des contours flous et une superposition des motifs.
Le résultat donne souvent des recoupement de courbes en forme de feuilles de trèfles !
Notons que les tréflages sont plus nombreux sur les monnaies féodales ou royales par exemple.
Plus le décalage du flan entre les 2 frappes est léger et plus l’effet de flou est présent comme sur demi-franc au col plat d’Henri III frappé en 1578 à Amiens.
Lorsque le déplacement est léger et donne donc cet effet de rendu flou on parle donc de tréflage mais si le déplacement est moins subtil on parlera de double frappe.
Le tréflage est une double frappe mais toutes les doubles frappes ne sont pas des tréflages. Ce terme ne semble d’ailleurs pas avoir de traduction en langue anglaise.
On peut ainsi s’hasarder à dire que l’effet de flou qui désigne le tréflage est peut être obtenu par le glissement du coin (qui serait mal fixé) tandis que les frappes multiple seraient plutôt dues à un glissement du flan ou un rebond du coin.
Double frappe
Comme son nom l’indique, une double frappe [ double strike, en anglais] est une pièce frappée « deux fois », que ce soit intentionnellement (pour relever le relief) ou accidentellement à cause du rebond du marteau.
Sur cette monnaie de Probus frappée à Rome les deux faces ont été frappées deux fois avec un décalage de 3h00 sur la même surface. Il en résulte une double titulature visible au droit laissant la gravure du G de AVG en place à la base du cou de Probus.
Après la première frappe, la monnaie est restée sur le coin dormant, subissant une légère translation vers le haut et la gauche.
C’est alors que le flan reçut une seconde frappe décalée.
Il est important de noter que certains débutants pensent parfois que les pattes des 4 chevaux constituant les quadriges sur ce genre d’iconographie sont des frappes multiples… d’où l’importance de bien connaitre les types que l’on étudie.
Il arrive que le déplacement du flan soit important et que la rotation partielle entre les deux frappes, donnant l’impression que les motifs sont inversés ou tournés par rapport à la position normale.
Les possibilités de déplacement du flan étant infinies les résultats le sont donc tout autant.
Frappe multiple
Pour la frappe multiple c’est identique à la double frappe mais le flan est frappé plus de 2 fois et les empreintes sont multipliées d’autant.
Le flip flop
Dans de très rares occasions, lors de la deuxième frappe, le flan non seulement s’est déplacé, mais s’est également retourné. En conséquence, l’avers et le revers sont désormais touchés par les coin d’avers et de revers. Cela peut produire une double image des deux côtés. On appelle cela un flip-flop (flip-strike error, en anglais).
Sur cette monnaie commémorative de Constantinople par exemple, le flan n’a pas été retiré entre deux frappes mais retourné, ce qui fait que la partie supérieure de la Victoire était visible sur la poitrine de Constantinople.
Sur cet antoninien de Tetricus il s’agit aussi d’ une double frappe retournée mais qui donne un effet différent. Le flan n’a pas été retiré entre deux frappes mais retourné, ce qui a fait apparaître le portrait au revers également, la légende originale se terminant par AVGG étant toujours visible au-dessus.
Le flan est-il resté en place après retournement et un autre flan a t-il été placé par dessus ? en effet on peut se demander pourquoi aucune trace de revers n’apparait ici.
Ne pas confondre avec les Surfrappes
La surfrappe (over strike, en anglais) se produit lorsqu’une pièce déjà frappée est réutilisée pour une deuxième frappe, généralement avec des coins différents.
Ce processus peut être délibéré ou accidentel.
Dans le monde antique, les ateliers monétaires manquaient parfois de nouveaux flans et ils utilisaient alors d’anciennes pièces pour les réutiliser comme flans.
La nouvelle frappe recouvre partiellement ou totalement les détails de la première frappe, créant ainsi une superposition d’images et des motifs complexes.
Le monnayage byzantin nous fournit de nombreux exemples de surfrappes comme ce follis d’Héraclius refrappé sur un follis de Phocas dont la légende est encore visible au revers.
Des preuves de surfrappe apparaissent dès environ 500 avant JC lorsque des pièces de monnaie d’Égine ou d’ailleurs ont été surfrappées par l’ancienne ville de Kydonia en Crète.
Les surfrappes ont bien entendu perduré longtemps ! En numismatique royale, on appelle cela la réformation qui est une technique monétaire apparue en France à la fin du règne de Louis XIV, en 1690. Elle consistait à frapper de nouveaux types monétaires sur des flans d’anciens types au lieu d’utiliser des flans neufs pour économiser les coûts de refonte des anciens types. Une réformation constitue également une dévaluation de la monnaie
Mais les refrappes sont frappées partout et à toutes les époques ! Les cas de refrappe sont nombreux. Par exemple, en raison d’une pénurie d’argent, la Monnaie de George III de Grande-Bretagne a utilisé des dollars espagnols en argent au début du 19e siècle et a surchargé l’image et les légendes du roi.
De quoi agrémenter les collections…pendant longtemps.