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PRATIQUER > LA MONNAIE PAR LES THÈMES
Lorsque l’Empire romain célébrait l’arrivée triomphale de ses dirigeants, c’était un événement à la fois politique et culturel d’une ampleur remarquable. Symbolisée par le motif de l’adventus sur les monnaies, cette arrivée incarnait la puissance et la gloire de l’empereur face à ses sujets. Véritables pièces de propagande, ces monnaies diffusaient l’image du souverain à travers tout l’Empire, immortalisant la présence impériale dans ses villes importantes.
Des monnaies qui nous comptent l’histoire de ces mouvements, ponctués de fêtes, de célébrations et de distributions généreuses et de cérémonies romaines qui cimentaient la loyauté et magnifiaient le pouvoir romain.
Sommaire
- L’adventus, un élément du triomphe sous la République
- L’empereur reçu à/par Rome sous les Antonins
- L’empereur en voyage : inspection des provinces, sous les Antonins et les Sévères
- L’empereur à cheval : une entrée militaire, qui se développe au IIIè siècle
- Quand l’empereur entre ailleurs qu’à Rome
- La profectio : pour chaque arrivée, il aura fallu un départ
- L’Antiquité tardive : une iconographie qui perdure mais évolue
L’adventus, un élément du triomphe sous la République
Le terme d’adventus (littéralement « la venue ») désigne à l’origine un élément du triomphe romain : le défilé militaire à travers la Ville, qui s’achevait avec une offrande au temple de Jupiter capitolin.
Si on trouve des représentations du quadrige triomphal sous la République, on peut se demander si des revers figurant des personnages à cheval en train de saluer de la main, souvent interprétés comme des représentations de statues équestres, ne pourraient pas être le souvenir d’une entrée triomphale, d’un adventus.En effet, à l’époque impériale, le char disparait, le plus souvent au profit du cheval.
Par la suite, les arches éphémères qui avaient pu être érigées sont devenues des arcs de triomphe, encore visibles aujourd’hui. Mais le triomphe lui-même ne laissait d’ordinaire pas de trace pérenne.
L’empereur reçu à/par Rome sous les Antonins
En effet, la plupart des types de l’époque impériale avec la légende explicite ADVENTVS figurent l’empereur saluant depuis son cheval.
Néanmoins, les premières représentations à nommer l’adventus datent d’une époque impériale déjà assez avancée.
C’est avec Hadrien, en 118, que le terme apparaît sur les monnaies pour la première fois, avec ADVENTVS AVG à l’exergue. On y voit, sur des bronzes, la déesse Roma assise serrant la main droite de l’empereur en toge. Cette dextrarum junctio est une figuration allégorique de l’accueil de l’empereur, en civil, par la déesse poliade.
Sur les modules plus précieux mais plus petits d’argent et d’or, la déesse est souvent debout.
Le geste est le même : Roma accueille l’empereur, les deux s’unissent, la concorde règne et l’empereur est en toge comme un citoyen, et tient un volumen, un rouleau, de législateur.
L’empereur en voyage, sous les Antonins et les Sévères
Cependant, Hadrien, empereur voyageur, n’a pas fait son entrée qu’à Rome. Ses célèbres voyages sont connus des numismates et l’atelier monétaire de Rome exprime le souhait de tous de voir l’empereur arriver à bon port pour pouvoir faire son adventus un peu partout.
On connait de nombreux types, dans les trois métaux, souhaitant au datif (ADVENTVI, « pour l’entrée de l’empereur en… ») la venue de l’empereur en Afrique, à Alexandrie, en Arabie, en Asie, en Bithynie, en Cilicie, en Hispanie, en Italie, en Judée, en Macédoine, en Maurétanie, en Mésie, en Norique, en Phrygie, en Sicile et en Thrace.
On y voit à chaque fois à gauche l’empereur en toge saluant (accompagné de l’impératrice Sabine pour Alexandrie) et, à droite, une allégorie de la province concernée sacrifiant au-dessus d’un autel au centre. L’empereur, en toge, salue de la main droite et tient un rouleau de la main gauche. Là encore, l’empereur est un administrateur.
D’autres monnaies montrent que l’adventus est le résultat d’un voyage, en particulier par la mer. C’est le cas de deniers et aurei de 202 au nom de Caracalla et à la légende ADVENTVS AVGVSTOR(um) (« la venue des augustes ») qui montre une galère (assez peu menaçante et semblant bien peu armée).
On y voit des rameurs, un capitaine debout au centre et sous un dais à l’arrière du bateau trois petites figures qui sont sans doute Septime Sévère, Geta et Caracalla.
L’image, plus que l’entrée des empereurs quelque part, montre leur voyage. On imagine mal une entrée dans Rome en galère.
Ce type d’adventus avec la représentation d’un bateau a un précédent dans les monnayages provinciaux, à Patras, où des monnaies de bronze célèbrent la venue de Néron.
L’empereur à cheval : une entrée militaire, qui se développe au IIIè siècle
Mais le plus souvent, les monnaies au type ADVENTVS montrent l’empereur à cheval.
Le premier exemple concerne Commode, encore seulement jeune césar, pour un aureus de 175-176 où sont posées les bases de l’iconographie du type : un empereur en tunique courte saluant de la main droite assis sur un cheval allant au pas à droite la jambe antérieure droite levée.
Le geste est pacifique, le cheval est au pas, on ne voit pas d’arme. Le type n’est pas aussi civil qu’avec un empereur en toge, mais le message est clair : l’empereur est bien accueilli.
Parfois, l’adventus est explicitée par la légende. Et parfois non, la légende prolonge la titulature, mais le geste ne laisse aucune doute, comme sur cet aureus de Dioclétien.
Des variations apparaîtront parfois. Le cheval pourra être tenu en bride par un soldat, être cabré, aller à gauche et l’empereur tenir une haste ou une lance. Et parfois tout ça à la fois.
Quand le pouvoir est partagé, l’entrée se fait parfois à plusieurs. À deux, comme Dioclétien et Maximien. Ou même à trois, comme Septime Sévère, Caracalla et Geta dans un très dynamique revers.
Sur des médaillons, la scène peut se déployer avec plus d’ambition et de détails. On y trouve une évocation du reste du cortège militaire, avec cavaliers, étendards, victoires…
Durant ce troisième siècle très militaire, l’empereur est régulièrement au front et parfois issu des rangs. L’adventus est ainsi de plus en plus martiale : le cheval est plus souvent cabré ou au galop, et des captifs viennent parfois prendre place devant le cheval. C’est ainsi le cas quand Aurélien fait son entrée après avoir maté la révolte des monétaires avec un cheval au galop et une lance brandie. Probus, lui, entre au pas même si c’est toujours avec un captif au sol. Le buste est militaire, le thème est guerrier. Et Probus, avec sa modestie légendaire, précise ADVENTVS PROBI AVG, « la venue de l’empereur Probus ».
Quand l’empereur entre ailleurs qu’à Rome
Si en théorie la cérémonie de l’adventus, partie du triomphe romain, est fortement associée à la ville de Rome, d’autres entrées en majesté ont pu être célébrées sur des monnaies romaines, comme celle de Néron à Patras mentionnée plus haut, de Maximien et Dioclétien à Lyon ou de Probus à Serdica.
Les frappes provinciales se font en effet l’écho de déplacements impériaux, comme Thyatira qui représente la venue de Caracalla en 214.
Lors de son séjour de plusieurs mois, il favorisa la cité qui le figure donc accueilli par une Tyché tourelée (la ville) tenant une statue du dieu principal de la ville : Apollon Tyrimneos, reconnaissable à sa double hache. Mais l’empereur est, comme pour une adventus à Rome, figuré sur un cheval au pas et saluant de la main droite.
On retrouve le même Caracalla sur un bronze de Pergame, où cette fois-ci il se retourne pour saluer. Ces grands bronzes sont sans doute des médaillons commémoratifs, davantage destinés à être conservés qu’à circuler avec une valeur libératoire. Une façon de garder la trace de la venue exceptionnelle de l’empereur.
D’autres objets semblent davantage avoir été frappés pour circuler. On y voit l’iconographie traditionnelle de l’adventus et peut-être sont-elles liées à des visites impériales, comme sous Alexandre Sévère à Parium ou Alexandrie (mais avec le portrait de Julia Mamaea).
Quand, au IIIè siècle, les ateliers monétaires de l’état central se firent plus nombreux, on peut penser que la figuration d’une adventus est un témoignage du passage de l’empereur dans cette ville.
On peut parfois restituer les déplacements impériaux, grâce aux datations assez précises permises par la numismatique. En cela, elle s’avère une précieuse science connexe de l’Histoire.
La présence de Dioclétien et/ou Maximien est supposée à Lyon durant la 6e émission (automne 289 – début 290). Il ne peut s’agir de Dioclétien, qui est à Sirmium le 11 janvier 290, à Byzance le 3 avril et à Antioche le 6 mai. Physiquement, seul Maximien pouvait être à Lyon début 290.
Le même revers appartient aussi à la 11e émission (20 novembre – fin 293), mais n’est frappé que pour Maximien à l’avers : l’auguste herculien devait être de nouveau de passage à Lyon en cette fin d’année 293.
Le célébrissime médaillon du trésor de Beaurains figurant l’arrivée de Constance Chlore à Londinium/Londres en 297 n’est autre qu’une adventus avec un décor plus ample permis par la taille et la préciosité du module : on y retrouve l’empereur à cheval, la ville, le bateau.
Ce même trésor de Beaurains contenait une autre monnaie d’or avec une adventus : Dioclétien et Maximien à Rome en 291 (ADVENTVS AVGVSTORVM, avec les empereurs convergents). Ce revers est donc bien souvent frappé à l’occasion de distributions à l’armée (et au peuple ?) puisque ce trésor est celui d’un officier de l’époque.
Parfois, l’iconographie varie. En particulier dans l’atelier de Carthage qui ne veut rien faire comme tout le monde, et qui célèbre la FELIX ADVENTVS AVGG NN (« l’heureuse venue de nos augustes ») avec une représentation allégorique féminine coiffée d’une dépouille d’éléphant et tenant une défense et une enseigne. L’empereur n’est même pas figuré sur ce type d’adventus !
Maximien arrive pour une campagne militaire en 297. Il restera jusqu’en 298, mais Carthage célèbre néanmoins son adventus. La légende emploie le pluriel, car un auguste les représente tous.
Pour l’empire romain des Gaules, Postume a frappé des sesterces d’une grande rareté (8ex du RIC V.4 107) datés de fin 260 – mi 261 et Tétricus I un aureus (un exemplaire unique de 2,92g, daté de fin 271 – début 272, RIC V.4 675).
Ces monnaies célèbrent sans doute une entrée triomphale dans une des villes majeures de Germanie : Trèves, Cologne ou même Mayence.
La profectio : pour chaque arrivée, il aura fallu un départ
Si on est toujours heureux de voir arriver l’empereur, on imagine qu’on célébrait moins son départ. Cependant, des monnaies le représentent avec la légende profectio (« le départ »). Il n’en existe qu’une quarantaine de types dans le RIC, sur une période restreinte, de Trajan à Alexandre Sévère (contre 230 pour ADVENT*). Postume a aussi émis ce type, en miroir à ADVENTVS. Il fut le dernier.
L’iconographie est l’inverse de celle de l’adventus. On y voit l’empereur sur un cheval au pas partir, le plus souvent, vers la droite (là où l’adventus va, le plus souvent, vers la gauche). Cependant, l’empereur y salue rarement.
C’est ainsi ce qu’on trouve sur des deniers de Lucius Verus l’empereur avec une haste partant à droite sur un cheval au pas. Il est parfois guidé par la Victoire (car s’il part, c’est souvent pour des raisons militaires) comme sur des sesterces d’Alexandre Sévère.
De façon étrange, Caracalla semble partir à pieds, suivi d’un porte-étendard.
L’Antiquité tardive : une iconographie qui perdure mais évolue
Aux IVè et Vè siècles, le type ADVENTVS reste émis. Surtout en or.
On le rencontre sous les constantiniens comme ici avec Constance II où on retrouve l’iconographie classique mais avec la qualification de FELIX accolée à ADVENTVS.
Sous les théodosiens, comme ici avec Théodose II, le type reste traditionnel.
Mais l’empereur est désormais nimbé (un halo entoure sa tête) et la légende est devenue ADVENTVS DN AVG (« la venue de notre seigneur auguste »). L’empire romain est devenu chrétien et certains détails comme le chrisme, le staurogramme ou le nimbe en témoignent.
Ces types se trouvent souvent sur des multiples d’or et sont sans doute destinés à des donativa.
On peut se demander si d’autres types, avec l’empereur à cheval, ne sont pas des adventus également, comme GLORIA REI PVBLICAE, VICTORIA AVGGG, GLORIA ROMANORVM.
Jusqu’à une Vè siècle déjà bien entamé, le type reste émis. Comme avec Marcien, lui aussi nimbé.
L’usage de procéder à des entrées royales en majesté s’est maintenu longtemps, en particulier en Occident.
La figure de l’empereur à cheval a été utilisée longtemps, amenant même Charles le Chauve (ou Charlemagne). La statuette équestre illustrée (24 cm) représente Charlemagne ou Charles le Chauve (IXè siècle), mais le cheval est peut-être antique.
Plus tard encore, des villes en liesse, décorées de façon plus ou moins éphémère par des artistes de grand renom ont continué à garder le souvenir de ces venues, appelées « Joyeuses Entrées », comme celles de Charles-Quint à Bruges ou à Anvers par exemple.
Et le terme même d’ « avent » pour les semaines précédant Noël, en particulier pour le calendrier grand public n’est autre qu’une évolution du terme latin adventus.
M.C.
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Origine des images
- Collection Münzkabinett Berlin,n° 18220933
- Classical Numismatic Group, Triton XX, Lot 519
- Classical Numismatic Group, Electronic Auction 450, Lot 351
- Aureus, Numismatica Ars Classica, Auction 92, Lot 557
- Numismatica Ars Classica, Auction 135, Lot 292
- Caracalla, Numismatica Ars Classica, Auction 141, Lot 245
- Commode, Numismatica Ars Classica, Auction 67, Lot 172
- Dioclétien, Numismatica Ars Classica, Auction 111, Lot 209
- Denier Septime sevère, Roma Numismatics Limited, E-Sale 3, Lot 596
- Probus, adventus, probus-coins
- Provinciales Caracalla, Papillon Numismatic, Auction 3, Lot 291
Caracalla, The Coin Cabinet, Ancients Auction 11, Lot 350 - Alexandre severe, Numismatik Naumann (formerly Gitbud & Naumann), Auction 62, Lot 461
- Julia Mamée, Classical Numismatic Group, Electronic Auction 403, Lot 501
- médaillon du trésor de Beaurains, musée d’Arras
- Maximien, siscia, Jesús Vico, Subasta 147, Lot 271
- Maximien, londres, Classical Numismatic Group, Auction 121, Lot 970
- Maximien aureus, antioche, Roma Numismatics Limited, Auction 16, Lot 813
- Postume, Gorny & Mosch Giessener Münzhandlung, Auction 220, Lot 1767
- Postume, profectio, colleconline coll. PYLL
- denier severe alexandre, Emporium Hamburg, Auction 100, Lot 485
- constans II, Roma Numismatics Limited, Auction 18, Lot 1237
- Théodose, Chaponnière & Firmenich, Auction 15, Lot 68
- Valentinien III, Numismatica Ars Classica, Auction 31, Lot 174
- Marcien, Stack’s, The Golden Horn Collection, Lot 3029
- Statuette, Musée du Louvre
- Albert et Isabelle, jeton, Jean Elsen & ses Fils, Auction 106, Lot 1243
Bonjour, il semblerait (en tous cas, cela se voit semble-t-il sur les clichés illustrant la chose dans l’article) que la PROFECTIO est effectivement vers la droite, mais également l’empereur semble (toujours ? ) armé – parce qu’en général, il part pour casser la g… à quelqu’un qui cherche des noises à l’Empire ! ;-))
En effet. À part pour Hadrien, les monnaies de l’état parlent peu de villégiature. La profectio est d’ordinaire un départ pour la campagne, mais la campagne militaire.
Merci pour l Ȏclairage.
Très bon article, merci à vous.
Merci !