Introduction à l’épigraphie numismatique
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Les monnaies romaines sont fascinantes pour de nombreuses raisons, à conditions de savoir les décoder. Mais ce qui peut sembler être une tâche complexe est, en réalité, assez simple une fois que vous connaissez les éléments clés à rechercher.
Les monnaies romaines étaient bien plus que de l’argent, bien plus qu’un simple moyen de paiement : elles étaient une expression de pouvoir, de propagande et de culture. Apprenez à déchiffrer ces messages cachés et à voir à travers les yeux de l’Empire romain !
Sommaire
Cet article n’aborde pas la « lecture » des bustes sur les monnaies romaines mais un avant-gout de cet art vous attend par ici 👉Comment reconnaitre un buste vu de dos sur les monnaies romaines ?
Où sont situées les informations permettant de décrypter une monnaie romaine ?
En général, les informations d’une monnaie sont présentes sous la forme :
- d’inscriptions circulaires au droit : la titulature
- d’inscriptions circulaires au revers : la légende
- A celles ci peuvent s’ajouter au revers des inscriptions à l’exergue ou des lettres dans les champs
À noter que les lettres utilisées sont celles de notre alphabet, cependant l’alphabet latin n’en contient que 21:
- le W n’existe pas ;
- le i remplace le J comme consonne ;
- le V est tantôt consonne (V) tantôt voyelle (u avec le son ou) ;
- Le v se lit toujours u, ainsi par exemple, GALLIENUS est écrit GALLIENVS.
Les latins ont emprunté aux grecs le Y, prononcé u, et le z prononcé dz.
Le sens de lecture
Concernant les titulatures et les légendes, généralement elles doivent être lues à partir du bas de la pièce et dans le sens des aiguilles d’une montre jusqu’à revenir au point de départ.
Cela signifie que la partie la plus basse de la pièce est considérée comme le départ de lecture, et que l’on poursuit dans le sens des aiguilles d’une montre jusqu’à ce que la fin soit atteinte.
Pour approfondir ce sujet, consultez l’article dédié :
👉Comment déterminer l’axe des coins d’une monnaie
Mais il est important de garder à l’esprit que les légendes peuvent être écrites dans différents sens en fonction de l’époque ou de la région de l’Empire romain où la monnaie a été frappée.
Dans certains cas, les légendes peuvent être lues de haut en bas ou de droite à gauche (surtout avant le IIIe siècle), mais la lecture dans le sens des aiguilles d’une montre est la plus courante.
En numismatique, on utilise les chiffres de 1 à 12 représentant les heures du cadran d’une horloge pour exprimer les axes.
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Comprendre les abréviations
Pour savoir lire une monnaie romaine, la première chose à comprendre est que les titulatures sont souvent écrites en abrégé.
Par exemple, sur ce bronze de Tibère, TI. CAESAR DIVI. AVG. F. AVGVST. IMP. VIII est l’abréviation de « Tiberius Cæsar Divi Augusti Filius Avgvstvs Imperator octavum », qui signifie : Tibère césar fils du divin Auguste, augste revêtu de la huitième acclamation impériale.
Ici l’exemple est complexe mais il illustre bien qu’il est important de connaître les abréviations courantes pour comprendre ce qui est écrit sur la monnaie.
Les abréviations sur les légendes des pièces de monnaies romaines sont généralement utilisées pour représenter des mots ou des expressions qui étaient couramment utilisés dans la langue latine, mais qui étaient trop longs pour être gravés en entier sur une monnaie de petite taille.
Les abréviations sont souvent formées à partir des premières lettres du mot en question, ou de la première et de la dernière lettre, ou encore d’une combinaison qui représente un mot.
Un doublement de la dernière lettre indique un pluriel. Ainsi AVG signifie avgvste, mais AVGG augustes ; CAES césar mais CAESS césars.
Il est souvent difficile de distinguer le G et le C. Il faut parfois s’aider du contexte.
Il est important de noter que sur le monnayage romain les abréviations peuvent varier en fonction de l’époque et de la région où la pièce de monnaie a été frappée. Cependant, il existe quelques abréviations courantes que l’on trouve fréquemment sur les monnaies romaines, et dont la signification est généralement bien connue des numismates.
Vous trouverez en chapitre bibliographie un lien vers une page regroupant plus d’abréviations mais voici quelques exemples :
- AVG ou AVGG : Augustus ou Augusti ( empereur(s) )
- CAESAR ou CAES : César (titre donné aux héritiers associés au pouvoir)
- COS : Consul (magistrat de la République romaine)
- DIV ou DIVI : Divus ou Divi (dieu ou divin)
- IMP : Imperator (commandant en chef)
- P M : Pontifex Maximus (chef de la religion romaine)
- P P : Pater Patriae (père de la patrie)
- TR P ou TR POT : Tribunicia Potestas (puissance tribunitienne)
- VIR ou VIRTVS : Virtus (vertu, courage)
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Identifier l’empereur et la dynastie : la titulature
Dans la titulature d’une monnaie de la Rome antique, généralement le nom de l’empereur (ou du sien et de son associé) est placé début de l’information, après le titre principal.
Par exemple, « IMP M OTHO CAESAR. AVG TR P » signifie « Imperator Marcus Otho Cæsar Augustus Tribunicia Potestate » = L’empereur Marc Othon césar auguste, revêtu de la puissance tribunitienne.
La lecture de la monnaie nous indique qu’elle a été frappée sous le règne de Othon.
Ici, Otho est facilement déchiffrable car il n’a pas été abrégé. C’est parfois plus complexe, comme par exemple l’as de Tibère illustré plus haut, sur lequel le nom de l’empereur est seulement abrégé en « TI ».
Décoder les pièces de monnaies romaines : notes sur les césures
Quand un mot est coupé en plusieurs morceaux par la figure, on parle de césure. Sur notre exemple, il est écrit SECVRITAS PR, la césure intervient après après SECVRI. On la note généralement SECVRI-TAS. Cela ne change en rien la lecture et la traduction, et n’a aucune raison d’entraîner une référence différente : c’est une variante de graveur.
Ensuite, la titulature peut inclure le nom de la dynastie ou de la famille régnante. Cela nous donne une indication sur la période de frappe de la monnaie et donc sur son histoire. Par exemple sur ce denier de Julia Titi où l’on peut lire : IVLIA AVGVSTA TITI AVGVSTI F = Iulia Augusta Titi Augusti filia = Julia augusta fille de Titus auguste.
On note ici des difficultés particulières dues au sens de lecture anti-horaire, aux caractères serrés et sans espace ou ponctuation entre les termes et/ou abréviations.
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Les légendes
On utilise ce terme pour les informations qui sont inscrites au revers de la monnaie.
Le fonctionnement est exactement le même que pour les titulatures mais les légendes sont souvent beaucoup plus simple à déchiffrer, du moins à certaines périodes de l’Empire romain.
Il arrive que la légende de revers fasse aussi apparaitre des informations sur l’empereur comme sur cette monnaie de Probus où il est écrit PROV PROBI AVG NOSTRI qui signifie Providentia Probi Augusti Nostri = Prospective de notre empereur (Augustus) Probus
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L’atelier de frappe
L’atelier de frappe ou/et l’officine n’est en principe pas à proprement parler inclus dans les légendes mais il apparait parfois sur la pièce, la plupart du temps à l’exergue, essentiellement aux IIIè et IVè siècles.
Par exemple sur les pièces ci dessous concernant des monnaies commémoratives de Rome et Constantinople avec à l’exergue P CONST et SMTSE qui correspondent à la marque d’atelier et d’officine : P (première officine) d’Arles (=CONST) & Thessalonique (=SMTS), officine E (=5)
Vous pouvez vous diriger vers ce petit article qui résume une partie des marques d’ateliers sur les monnaies romaines mais un tableur avec toutes les marques est inclus dans la toolbox numismatique Bnumis qui est mon cadeau de bienvenue 🎁 aux nouveaux inscrits à mes emails privés (newsletter).
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Inscriptions dans le champ
Parfois les marques d’ateliers et lettres d’officines peuvent se trouver dans les champs gauche et/ou droit. Mais on peut trouver différentes informations à ces endroits.
L’exemple le plus commun est le SC que l’on retrouve sur les sesterces qui est l’abréviation de SENATVS CONSVLTO qui signifie « avec l’accord du Sénat »
Beaucoup plus rares, des compléments de légende ou nom des allégories peuvent être ajoutés dans les champs, comme sur ce sesterce de Marc Aurèle avec le nom de l’allégorie VIR | TVS = VIRTUS ( la virilité), qualité qu’on relie au souverain.
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Les erreurs de gravure
Les erreurs de gravure de légende ou de titulature sont relativement fréquentes sur les monnaies antiques et vous en avez certainement quelques unes dans votre collection. Les pièces de monnaies anciennes étaient produites à la main et les graveurs devaient graver les inscriptions sur de petits flans de métal en utilisant des outils manuels. Il est donc compréhensible que des erreurs de gravure se soient produites de temps à autre. Surtout dans le monnayage de la partie hellénophone de l’empire où des scalptores devaient graver des inscriptions en latin, langue dont ils maîtrisaient parfois mal l’alphabet.
Pour déchiffrer une monnaie romaine et la comprendre correctement, il faudra donc faire parfois avec des erreurs de graveurs (fautes d’orthographe, omissions de lettres ou de mots, erreurs de datation), les repérer et les modifier ou corriger.
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Les événements historiques importants
La lecture des pièces de monnaies peut fournir des informations précieuses sur l’histoire de l’époque romaine, notamment les victoires militaires, les réformes monétaires, les anniversaires impériaux et les événements politiques.
En effet, les légendes sur les pièces peuvent également célébrer des événements politiques importants, tels que la fin d’une guerre civile ou l’accession d’un nouveau souverain. Par exemple, sur le bronze d’Hadrien illustré, la légende « RESTITVTORI AFRICAE » (Le restaurateur de l’Afrique) célèbre sa victoire en Afrique. Mais il peut aussi s’agir de victoires militaires, de réformes monétaires ou encore d’anniversaires impériaux.
Procédure pour décoder une monnaie et en tirer des informations
La compréhension des inscriptions monétaires se fait donc en plusieurs étapes que nous allons détailler en suivant cet exemple avec cette monnaie en or (Aureus) à comprendre et identifier :
A/ Le Droit
On cherche tout d’abord dans quel sens se lit la monnaie. Ici on voit bien que, la lecture doit être « anti-horaire » soit dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Ça évite de chercher ce que signifie PMI GVA etc.
Ensuite on essaie de recopier cette titulature.
Notons que sur certaines monnaies tous les caractères de tous les mots (ou abréviations) se tiennent, parfois il y a des espaces et d’autres fois des points. S’il manque des lettres ou si vous ne voyez pas desquelles il s’agit, laissez un espace.
Ici en respectant les espaces et la ponctuation on note :
A/ NERO CAESAR AVG IMP
Concernant l’avers, une ponctuation et des espaces nous aide à bien séparer les mots entiers (généralement les noms propres). C’est donc assez facile à déchiffrer et en nous aidant des tableaux récapitulatifs des abréviations on réécrit le tout en version longue, que l’on traduit ensuite.
On a donc :
- NERO CAESAR AVG IMP
- = Nero Cæsar Augustus Imperator
- = Néron césar auguste empereur
B/ Le revers
La légende
Au niveau du sens de lecture on voit facilement ici que, par contre, il faut lire la légende dans le sens horaire.
L’absence de ponctuation ici complique énormément la lecture mais on a la chance que toutes les lettres soient visibles et déchiffrables, ce qui n’est pas toujours le cas, loin de là.
R/ PONTIFMAXTR PVIIIICOSIIIIPP
On repère d’abords les mots entiers (généralement les noms propres) ainsi que les nombres, toujours placés après un nom.
On note ensuite les éléments abrégés à caractère répétitif (IMP ; AVG ; CAES ; P etc.) et on vérifie leur classement dans la position de l’inscription
Quand il y a des nombres, la méthode la plus efficace pour dégrossir le travail est donc d’essayer de les détacher. Attention, contrairement à ce qu’on nous apprend à l’école, on peut aussi bien écrire IIII que IV, XIIII que XIV, il n’y a pas de règle .
PONTIFMAVXTR P VIIII COS IIII PP
On y voit déjà plus claire. On tente ensuite de détacher ce qui nous semble être des ensembles de lettres qui forme des groupes pertinents :
PONTIF MAX TR P VIIII COS IIII PP
en vérifiant sur notre documentation, il nous semble bien que les ensembles que nous avons séparé soit valides. Récapitulons le chemin depuis le début :
- PONTIFMAXTR PVIIIICOSIIIIPP
- > PONTIFMAVXTR P VIIII COS IIII PP
- > PONTIF MAX TR P VIIII COS IIII PP
- = Pontifex Maximus Tribunicia Potestate novies Consul quartus, Pater Patriæ
- = Grand pontife, revêtu de la neuvième puissance tribunitienne consul pour la quatrième fois père de la patrie
Inscriptions dans le champs
Ici, on lit dans le champs gauche EX et à droite SC
En cherchant toujours dans notre documentation on voit que :
- EX est l’abréviation de EX CONSENSV qui signifie en latin « avec le consentement »
- SC est l’abréviation de SENATVS CONSVLTO qui signifie « avec l’accord du Sénat »
Cet article ne concerne que la lecture des inscriptions sur les monnaies, nous verrons dans de futurs articles comment analyser les informations sur les monnaies de vos collections : le type de buste, (ici une simple tête nue) et les allégories ou autres images gravées (ici le dieu Mars debout à gauche casqué et vêtu militairement, le pied droit posé sur un casque, tenant une lance et un parazonium).
Vous avez enfin toutes les cartes en main pour décoder et identifier les pièces de monnaies de votre collection.
À vous de jouer !
Entrainement niveau débutant (aussi simple que pour les euros)
Entrainement niveau expert
Entrainement niveau divin
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Bibliographie
- Michel GALLEAZZI, Dictionnaire latin-français appliqué aux inscriptions romaines, Revigny sur Ornain,1994 (livre important mais dur à trouver)
- Dictionnaire latin-français : Le grand Gaffiot
- Connaitre les abréviations sur les monnaies
Article de Blog co-écrit & corrigé avec la participation amicale de Prof. Cambreling.
Merci c’est très intéressant